Fanella regarda le fantôme se dissoudre dans l’air, comme s’il n’était rien. A la seconde où elle fut certaine qu’il ne pouvait plus entendre ses pensées, celles ci s’ébrouèrent comme un cheval fou. Elle resta là cramponnée à la barrière qui la séparait de la vue du lac, incapable de suivre le cours de son discours interne.
Quand elle fut à peine plus calme elle se mit à marcher en direction de chez elle,  à moitié frigorifiée. Lorsqu’elle tourna les clefs dans la serrure et qu’elle poussa la porte, le vide des lieux lui sauta au visage. Son appartement aurait pu être un lieu témoin dans un magasin de meuble. Ça n’était pas étonnant, personne ne vivait vraiment là. La sensation la poussa presque à faire demi-tour mais malgré tout elle entra. La salle de bain, tout de blanc et de noir était glacée et le radiateur pourtant dernier cri peinait à chasser ce sentiment. Elle se dévêtit et évita son reflet dans le miroir massif. Une fois sous l’eau, elle songea à la manière dont il avait disparu, l’air si triste qu’il avait eu sur le visage. Elle aurait tellement voulu que son esprit soit plus ouvert, plus bienveillant. Il fallait prier pour qu’elle ne soit pas dans le déni de sa propre monstruosité.
Parmi toute les idées qui lui avaient traverser l’esprit, celle-là lui fit le plus peur alors elle se mit à pleurer doucement sous l’eau chaude. En sortant de la douche, elle hésita à appeler sa mère, mais elle entendait déjà les conseils qu’elle allait lui donner, toujours les même encore et encore. « Tu es trop émotive Fanellina chérie » « Essaye de garder la tête froide ». Et puis, si elle racontait ce qui venait de lui arriver, sa propre génitrice ne la croirait sans doute pas.
Evidemment le frigo était vide alors elle trouva dans les placards un vieux paquet de pâtes et dans un tiroir des barres chocolatés. Une fois repue, elle avisa son lit, immense et sa couette couleur gris métal. Dehors le soleil était haut, la matinée était loin d’être terminée. Elle hésita, soupira, et se tourna vers l’ordinateur portable sur le grand bureau de verre derrière elle.
Non, elle ne pourrait pas dormir, tant qu’elle n’aurait pas un peu compris.

Au laboratoire, Tanner n’avait pas perdu une seconde. Il s’était empressé de se tourner vers ceux dont il savait qu’ils le soutiendraient et à quelques uns ils avaient enrôler le jeune Manson, un ingénieur de l’équipe de physique quantique. Tout ce que voulait Manson en général ce n’était rien de plus qu’un peu de reconnaissance et cela Tanner le savait très bien. Il avait également recruté Jenna de l’informatique et Dimitrov qui avait participé à la conception des inverseurs du générateur, la partie responsable de l’inversion des fronts d’ondes. Lui maîtrisait la notion d’antimatière. Ensemble, ils pouvaient se débrouiller.
Il n’avait pas fallut à Manson plus d’une heure pour résoudre l’énigme  : comment fabriquer un générateur miniature, capable de reproduire l’effet de l’original à minima. Avant de prendre la parole, le jeune ingénieur avait remonté ses lunettes grasses avec son index noire à cause de la fumée des soudures. Il tenait dans sa main un petit appareil de bric et de broc. Un manche en plastiques, des composants en petites colonnes soutenaient un anneau bleuté semblable à celui du générateur, grossièrement assemblé par une jonction maladroite.

- Bon euh.. j’ai bien essayé de booster la puissance mais les anneaux sont trop petits pour vraiment produire disons, une inversion de champ qui aille au delà de quelques millimètres. Ils sont lourds parce que j’ai ajouté des stabilisateurs latéraux sinon eh bien.. eh bien j’ai peur que cela produise de petits trous noirs à cause de l’oscillation de…

- C’est parfait, coupa Tanner.

- Oui, très bien, reprit Dimitrov, tu as bien suivi mes instructions.

- Mais… mais, essaya Manson qui visiblement commençait à regretter ce qu’il venait de faire, c’est pour quoi faire ? C’est pour la réduction des instruments de mesures, pour le voyage ? Mais en fait, je ne vois pas bien pourquoi on aura besoin d’émettre sur place, surtout pas…aussi peu et… et je pense qu’on devrait les tester en zone sécurisée sinon on risque de…

- Pas la peine, tu as dit toi-même que le champ ne dépassait quelques centimètres, reprit Tanner.

- Oui mais… un trou noir d’un millimètre c’est déjà plusieurs dizaines de mégatonnes de…

- Les chances sont infimes, reprit Dimitrov, merci Manson, c’est de l’excellent travail.

Tanner lui prit le petit objet des mains.

- Il nous en faudra trois autres, ajouta-t-il, combien de temps cela te prendrait ?

- Avec l’imprimante 3D euh je dirais, une quarantaine de minute mais… ça c’est le prototype les soudures sont faites à la va vite et…

- Je t’ai dit que c’était très bien, coupa Dimitrov.

Tout le monde vit Manson déglutir douloureusement.

- Fais-le, ordonna Tanner.

Il n’en fallait pas plus pour que le jeune homme se remettre au travail sans se faire prier.

A ce moment Jenna arriva et souffla à voix basse  :

- Je crois que je l’ai trouvé, mais ça n’a pas été facile. Les capteurs de l’équipe d’ingé sont très, très loin d’être au point.

- Il est où ?

- Dans la salle des ordinateurs à réparer.

- Il est venu contempler sa catastrophe.

C’était là que plus tôt dans la matinée, on avait entreposé les ordinateurs endommagés. Le laboratoire avait des dizaines de machines qui tournaient 24h/24h dont certaines très puissantes. Mais l’enfant de le technicien de maintenance spécialisé était malade ce jour là, alors on avait stocké là les machines touchées par l’apparition du fantôme en attendant son retour.

Les trois complices s’éloignèrent de Manson à nouveau concentré sur sa tâche.

- Il faisait quoi ?

- Oh rien, il flottait misérablement au plafond, je ne sais pas s’il n’est pas déjà en train de repartir de tout façon.

- Justement, argumenta Tanner, on ne peut pas le laisser faire, pas sans l’avoir vraiment interrogé.

- Tu penses que la puissance sera suffisante ? Demanda Dimitrov.

- Je pense oui, il ne pèse rien, c’est un fantôme.

- Et la théorie performative ? argumenta Jenna.

- C’est la grande inconnue, mais je crois que Fanella se trompe à ce sujet. Le monde est déterminé, c’est certain.

Les deux autres hochèrent la tête, confiants.

Quelques dizaines de minutes plus tard, ils arpentaient le couloir le plus silencieusement possible, leurs petites armes aux anneaux luisants à la main. Le bureau du technicien de maintenance était ouvert et ils espéraient que leur plan allait fonctionner. Utiliser la nouvelle invention de Manson pour piéger le fantôme, le traîner jusqu’au générateur, pousser le potards à fond en espérant que cela cause à cette horrible créature quelque chose qui ressemblait à de la douleur en même temps que cela la maintiendrait prisonnière.

Le temps avait lentement continué sa course tandis qu’Eugène sanglotait au plafond de sa petite salle discrète. Il aurait pu s’écouler des minutes ou des heures qu’il n’aurait rien remarqué dans cette pièce sans horloge ni fenêtres. Personne n’était encore venu le déranger hormis quelques pas qui avaient martelé le couloir. Faire sortir son ressentiment dans cette petite bulle d’intimité lui avait fait du bien mais le laissait dans un certain état d’épuisement. Un rien fatiguait un fantôme alors de grosses émotions parsemées de l’amas de pensées indistinctes de toutes les personnes du laboratoire… Parfois Eugène en venait à espérer trouver un endroit où il n’entendrait plus personne, où il pourrait dormir sans que ses rêves ne soient parsemés de pensées intrusives, avant de s’imaginer la terreur qui en découlerait pour lui de se retrouver aussi seul et isolé.

Il songeait presque à se motiver à sortir pour arpenter les couloirs, peut être retrouver Jonathan dont la conversation serait au moins agréable en attendant Fanella mais le destin semblait vouloir en décider autrement lorsqu'un sentiment d'alerte vint titiller son esprit.

Eugène fronça les sourcils. Dans ce nuage d'orage de pensées scientifiques, quelques unes commençaient à se distinguer des autres. Elles semblaient se rapprocher, focalisées sur lui et n'auguraient rien de bon. Parmi elles, l'esprit de Tanner qui lui semblait soudain particulièrement sombre. Un horrible pressentiment descendit en lui, qui se confirmait de seconde en seconde. Ils voulaient lui faire du mal, le piéger comme l'avait dit Fanella. Fanella qui n'était pas là et pas prête de revenir d'ailleurs. L'esprit du fantôme s'agira de mille et une façon pour savoir comment réagir dans cette situation.

S'il se défendait, il passerait pour le méchant incontrôlable et terrifiant aux yeux de tous et donnerait raison a Tanner. Ce n'était pas une option. Celle de se rendre et d'obtempérer ne lui plaisait guère non plus surtout si les trois personnes qui arrivaient pensaient clairement à employer la force. Leurs pensées a son égard n'étaient pas des plus gentilles. La meilleure des solutions semblait donc de résister à minima sans trop rien révéler jusqu'a ce que Fanella revienne.

Tanner n'allait sans doute pas faire de mal à sa supérieure, au risque de se retrouver avec de lourdes conséquences judiciaires sur le dos et une réputation entachée. Mais un fantôme, sans corps, qui n'était plus vraiment un être humain... Il pouvait lui faire ce qu'il souhaitait sans être inquiété. L'idée terrifiait Eugène qui, dos au mur, se disait qu'il pouvait tout aussi bien s'enfuir. Mais il en avait assez de fuir. Il ne voulait pas donner raison à Tanner et abandonner son amie. Quoi qu'ils lui fassent ce serait toujours moins pire que ce qu'il a avait déjà vecu. Aussi, lorsque la porte s'ouvrit sur eux, il était prêt. Posé au sol, face à eux, sans plus aucune traces de larmes. Il ne se permettait ni de pleurer ni de céder face à quelqu'un qui avait choisi la violence sans réfléchir pour s'exprimer. Tanner ne savait simplement pas tout a fait dans quoi il avait mis les pieds. Avec un peu de chances il allait apprendre certaines leçons de cette journée.

- Bonjour messieurs et madame, est ce que je peux vous aider ?

Il avait repris son ton sérieux et une espèce de sourire de façade quand bien même ses yeux semblaient attentifs au moindre mouvement. C'était un jeu d'espion dans lequel il avait été plongé sans préparation. Évidemment qu'il était suspect. Tout tenait dans le fait de garder quelques cartes a jouer en donnant l'illusion de laisser l'ascendant aux autres pour qu'ils baissent leur garde. Tanner, lui, s'était jeté dans ce monde a pieds joints sans aucune expérience, contrairement à lui. Ils pouvaient être deux à jouer le jeu et cela, il ne s'en rendait pas encore compte.

Lorsqu’ils arrivèrent le fantôme les attendait tranquillement assis. Son petit sourire en coin ne disait rien qui vaille à Tanner mais au moins il n’avait pas l’air hostile. Instinctivement lui et ses comparses baissèrent leurs armes de fortune.

- Bonjour messieurs et madame, est ce que je peux vous aider ?

Tanner se racla la gorge. Il n’avait jamais été un excellent menteur alors Dimitrov pris la parole avec son fort accent Russe.

- Oui écoutez, en fait nous vous avons cherché partout. Pourquoi n’êtes-vous pas dans la salle du générateur ? Nous venons de recevoir un appel de Fanella qui nous demande de faire de relevés de long court.

Tanner se félicita car Dimitrov était assez crédible, plus que lui aurait pu l'être.

- Juste pour augmenter la base de données, j’imagine, histoire d’avoir une meilleur fiabilité statistique, compléta Jenna.

Le scientifique décida qu’il valait mieux ne pas donner trop de détails.

- Enfin, si vous voulez bien nous suivre ?

Il espéra que la créature suivrait sans faire d’histoire auquel cas ils n’auraient même pas à prendre le risque de faire fonctionner leurs pistolets à inversions. Tanner devait bien avouer qu’il serait plus tranquille de cette façon. Restait à espérer que le générateur fonctionnait toujours mais d’après ce qu’il savait, seuls les capteurs avaient été endommagés par l’apparition de la créature. Le gros de la machinerie devrait tourner sans difficultés. Il résolu d’avance, si le fantôme lui demandait ce qu’étaient ces objets dans leurs mains, de lui dire qu’il s’agissait aussi de capteurs, destinés à produire des données, avec un peu de chance, cela passerait.


Pendant ce temps, Fanella avait compulsé à la hâte déjà deux gros ouvrages de psychologie sur la personnalité et un de philosophie sur la question du libre arbitre et du déterminisme. Au fond, la présence d’Eugène dans le monde n’était pas suffisante pour faire peser la balance dans ces champs d’études là et cela la rassurait un peu. Un des ouvrages sur la personnalité et les relations lui avait d’ailleurs fourni quelques pistes pour s’en sortir avec Eugène  : les relations saines basées sur des limites claires, la communication, les compromis. Après tout, il avait eu une femme, ils avaient dû se débrouiller d’une façon ou d’une autre. Tout ce qui lui manquait au fond, c’était la certitude qu’elle pouvait le faire et qu’il ne se cachait pas en elle de sombres désirs de domination.

Dès que le groupe fut entré dans la pièce qui lui avait servi de refuge, Eugène avait repéré qu'ils tenaient dans leurs mains des appareils étranges, qui dans leurs esprits semblaient avoir l'utilité d'armes. Comme ils lui apparaissaient assez clairement menaçants il s'autorisa a fouiller les pensées plus profondes de Tanner et de ses acolytes. Il tomba très vite sur une discussion avec un certain Manson qui voulait très clairement dire que ces machines de fortunes pouvaient les exposer a des risques. Raison de plus pour lui de ne pas résister. Il ne voulait pas disparaitre a cause d'une erreur de soudure ou de scotch mal placé ou pire, voir le laboratoire tout entier sauter.

Assez gentiment, il leur avait demandé s'il pouvait être d'une quelconque utilité, comme un bon fantôme ignorant tout de leurs desseins. Ainsi il espérait garder un coup d'avance et, comme il l'avait espéré, les deux hommes et la femme baissèrent leurs armes en voyant qu'il ne montrait aucun signe d'opposition. L'homme appelé Dimitrov, un russe ce dont il nota l'ironie, s'employa a lui mentir en pleine face sans savoir qu'il était grillé depuis le début. Le fantôme trouvait cela malheureux mais guère surprenant et garda ce visage de façade qu'une tension naissante tentait de mettre à l'épreuve. Heureusement l'expérience l'aidait a rester stoïque.

- Oui écoutez, en fait nous vous avons cherché partout. Pourquoi n’êtes-vous pas dans la salle du générateur ? Nous venons de recevoir un appel de Fanella qui nous demande de faire de relevés de long court.

- Juste pour augmenter la base de données, j’imagine, histoire d’avoir une meilleur fiabilité statistique, compléta la femme appelée Jenna.

- Enfin, si vous voulez bien nous suivre ? termina poliment Tanner qui semblait se sentir pousser des ailes, volant sur les mensonges des deux premiers.

Bien évidement il savait que Fanella ne les avait pas appelés. Elle avait même défendu à Eugène de s'approcher du générateur avec Tanner. Il allait sans doute désobéir plus ou moins délibérément et espérait que si elle revienne vers lui dans quelques heures, elle serait capable de comprendre son point de vue. Il leur adressa un petit air contrit et passa sa main dans ses cheveux translucides.

- Je suis vraiment desolé, j'avais besoin d'être seul un moment, ce monde que je ne connais pas m'épuise et j'étais un peu brassé par les émotions...

Il ne put s'empêcher de rebondir sur leurs mensonges, ne serait ce que pour leur mettre un petit coup de pression. Il avait encore l'espoir de les dissuader de le questionner de manière musclée.

- Tiens pourtant Fanella m'a dit juste avant de ne pas trop m'approcher du générateur de peur que je ne le détraque, expliqua-t-il avec une innocente moue pensive. Mais si elle vous a appelés je suppose que vous êtes capable de gérer ça aussi, alors je veux bien vous suivre.

Il se remit à flotter, leur emboîtant le pas, scrutant la moindre pensée et la moindre réaction. Tanner avait donc rassemblé quelques fidèles à sa cause. La pauvre Fanella allait avoir du travail pour asseoir son autorité. La seule solution qui se présentait au fantôme était de montrer qu'il était gentil.

- Et puis de cette manière cela me permettra peut être de m'excuser auprès de Monsieur Tanner... Je pense que j'ai été un peu rude lors de notre première rencontre, j'aurais du mieux gérer mes émotions, pardonnez mon accès de colère. C'est juste que... Ce n'est pas facile d'être ici.

Car après tout, c'était ce qu'il voulait faire au début. Il était clair que si Tanner poursuivait dans son idée de le torturer, il ne lui pardonnerait plus rien. Il n'arrivait même pas a réfléchir à ce qu'il ferait après tout ça, s'il venait à y avoir un après. Il ne savait même pas exactement si ce qu'il voulait faire avec le générateur allait marcher. Il aurait dû être terrifié de marcher ainsi vers sa propre destruction mais il était au final plutôt calme. Trop de souvenirs, d'automatismes qui remontaient. Et de se dire que quoi que Tanner lui fasse maintenant qu'il était mort, on lui avait fait bien pire lorsqu'il était vivant.

Tanner n’en croyait pas sa chance. A priori le fantôme croyait leur mensonge. Tout les complices se détendirent. Au fond, personne n’avait envie de s’affronter avec cette chose qu’ils ne connaissaient pas.

- Je suis vraiment desolé, j'avais besoin d'être seul un moment, ce monde que je ne connais pas m'épuise et j'étais un peu brassé par les émotions...

Il se demanda si réellement le fantôme avait des émotions ou s’il jouait juste avec eux. Dans tous les cas il était résolu à ne pas se laisser attendrir.

- C’est mieux si nous savons à tout moment où vous êtes, ça simplifiera les choses, répondit-il.

Il doutait que la chose respecterait cette directive une fois qu’ils seraient allés au bout de leur idée, mais néanmoins il avait envie lui faire sentir qu’ici, les humains décidaient qu’il ne pouvait pas aller où bon lui semblait. IL avait tellement fulminé lorsqu’il avait appris un peu plus tôt que Fanella l’avait accompagné dehors pour ensuite le laisser rentrer au labo seul. Et s’il s’était échappé, déclenchant on ne savait quelle catastrophe, après tout, personne ne savait rien de ses motivations.

- Tiens pourtant Fanella m'a dit juste avant de ne pas trop m'approcher du générateur de peur que je ne le détraque, reprit-il avec une moue étrange. Mais si elle vous a appelés je suppose que vous êtes capable de gérer ça aussi, alors je veux bien vous suivre.

Tanner ouvrit la bouche mais Dimitrov le devança.

- Sûrement le temps que la technique fasse quelques ajustements, mais ils doivent avoir presque fini maintenant.

Décidément, il était meilleur à ce jeu là que lui. C’était tant mieux. Jenna se contenta de sourire.

- Et puis de cette manière cela me permettra peut être de m'excuser auprès de Monsieur Tanner... Je pense que j'ai été un peu rude lors de notre première rencontre, j'aurais du mieux gérer mes émotions, pardonnez mon accès de colère. C'est juste que... Ce n'est pas facile d'être ici.

Tanner se fichait royalement que « ça n’était pas facile d’être ici », d’ailleurs c’était surement un mensonge qui dissimulait on ne savait quoi. Aussi il se contenta de sourire lui aussi.

- Excuses acceptées, allez en route.

D’un geste vif il lui ouvrit le passage. Dimitrov marcha en tête et Tanner et Jenna suivirent gardant discrètement leurs armes en main. Dans les couloirs, on leur adressa quelque regards très insistant. Même si à ce stade tout le laboratoire de Fanella était au courant de la venue d’Eugène, le voir en vrai était une autre paire de manches. Certains contenaient mal leur frayeur et d’autres leur curiosité. Tanner s’amusa de la situation jusqu’à ce qu’ils atteignent le générateur. Heureusement la technique avait terminé son travail et ils n’attireraient pas de questions supplémentaires. La pièce était déserte et Jenna se rendit à la table de contrôle pour enclencher les capteurs. Sur les écrans des relevés déjà anormalement élevés s’affichèrent avant d’osciller tranquillement.

- Si vous voulez bien vous placer au centre de l’anneau, exactement où vous étiez hier, cela nous aiderait, demanda tranquillement Dimitrov.

Lorsqu’il se déplaça pour répondre à cette demande, la machinerie sembla tenir bon. Jenna alluma l’anneau qui se mit à luire tranquillement alors qu’il sifflement aigu montait dans la pièce. D’après ses calculs le fantôme devait être piégé par le caractère circulaire des fronts d’ondes inversés. Au moins comme ça, il ne pouvait plus aller où bon lui semblait, en tout cas théoriquement. Jenna tourna vers lui un visage anxieux mais il n’était pas sûr que la manoeuvre est fonctionné. Il ne comprenait pas pourquoi ce n’était pas la toute première chose que Fanella avait jugé bon de vérifier.

Tanner tenait absolument a connaître tous les faits et gestes d'Eugène et avait visiblement été assez fâché d'apprendre qu'il avait osé s'aventurer à l'extérieur avec Fanella. Un peu plus et l'esprit était tenté de lui proposer ironiquement l'installation d'une puce de localisation dans son cerveau, comme de son vivant. Mais ce serait déjà révéler trop d'informations a quelqu'un d'aussi indigne de confiance. Et ensuite c'était un peu dur d'ouvrir le crâne d'un fantôme pour y implanter quelque chose. Mieux valait l'enfermer dans une cage faite de barreaux invisibles comme le démontrait leurs pensées.

Il était triste de constater que le scientifique lui prêtait des intentions toutes aussi horribles les unes que les autres sans pour autant chercher à les vérifier. Pour quelqu'un avec autant d'intelligence son ouverture d'esprit était bien étriquée. Eugène en avait profité pour s'excuser mais il se doutait que Tanner n'en ferait rien, même s'il disait les accepter verbalement. Il ne croyait rien de ce que le fantôme disait ou faisait, réinterprétant toutes ses actions. Il ne servait à rien de discuter avec une personne telle que lui. Au moins Eugène n'avait rien à se reprocher il venait d'admettre le peu de tort qu'il avait eu dans cette histoire.

Dans les couloirs ils avaient croisés de nombreux témoins mais aucune trace de Jonathan. Il était bien le seul à qui Eugène aurait éventuellement pu faire un signe ou transmettre d'avertir Fanella. Il essayait de se rassurer en se disant qu'au moins certaines personnes l'avaient vu avec Tanner et sa clique. Il aurait pu crier dans les couloirs qu'on tentait de le piéger mais qui l'aurait cru ? Sans parler de la révélation de ses capacités. Lorsqu'ils arrivèrent au générateur la pièce lui sembla soudain bien plus menaçante mais il n'en laissa rien paraître. Bien conscient des choses l'esprit n'écoutait que d'une oreille les mensonges de Dimitrov.

- Si vous voulez bien vous placer au centre de l’anneau, exactement où vous étiez hier, cela nous aiderait.

Évidemment que cela allait les aider, pensa-t-il amèrement en s'exécutant, bien conscient de marcher les deux pieds joints dans un piège. Restait à savoir si le piège était une simple corde immobilisante ou un piège à ours qui allait le faire hurler. Les bruits inquiétants de la machine lui firent froncer les sourcils et il nota assez vite la différence de sensation par rapport à la veille. Là où auparavant l'énergie l'avait attiré et nourri elle ne semblait servir aujourd'hui qu'à le maintenir en place, contre lui.

- Et maintenant que j'ai l'air enfermé ici, quel est le plan ? demanda-t-il sur le même ton faussement innocent que ses paroles précédentes.

Ses yeux cependant disaient tout autre chose et il regardait les trois chercheurs avec une lueur qui ressemblait presque à du défi. Il aurait voulu leur jeter au visage qu'il mentaient tous les trois très mal mais quand bien même il pouvait le justifier sans évoquer ses capacités, il ne voulait pas être piégé a son propre jeu. C'était ces trois là qu'il devait piéger après tout.

Il gardait en mémoire quelques idées pour s'en sortir. Appeler à lui d'autres fantômes pour surcharger le générateur étaient l'une d'elle mais il ne s'agissait là que de la dernière carte dans sa manche, le dernier recours, car il ignorait les conséquences que cela pouvait avoir sur la machine. Ou même si c'était réalisable. Pour l'instant il allait tenter de gagner du temps en jouant avec ses geôliers.

Le sourire de Tanner grandit dès que  le sifflement caractéristique du générateur retentit. Jenna l’avait déjà poussé à une puissance plus élevée que celle que Fanella utilisait et une vibration grave venait s’ajouter aux notes plus aigus que provoquaient les électrons en se percutant à grande vitesse. Dimitrov lui sourit également. Jenna regardait la créature, fascinée, maintenant qu’il était pris au piège, cela lui était sans doute plus facile.

- Et maintenant que j'ai l'air enfermé ici, quel est le plan ? déclara soudain le fantôme.

Il était toujours aussi calme, mais Tanner comprit soudain qu’il avait une longueur d’avance sur eux. Visiblement il s’était laissé enfermer sans protester. Son sourire tomba et celui de Dimitrov aussi. Jenna sembla plus confiante.

- C’est simple, tu vas nous dire exactement ce que tu fais ici et pourquoi tu as choisi de répondre à l’appel de Fanella.

Tanner doutait qu’il leur répondre si facilement. Aussi, il estima nécessaire de rendre la situation plus claire.

- Pousse la puissance Jenna, qu’il comprenne bien le sens de notre question.

La jeune femme s’exécuta et le bruit s’amplifia brusquement les notes graves et aiguës se confondirent et la vitre trembla légèrement. L’anneau devint flou semblant soudain incandescent. Quelques capteurs explosèrent en une gerbe d’étincelles et les lumières oscillèrent dangereusement. Les trois complices se couvrirent les oreilles le temps que l’informaticienne ne réduise la puissance à nouveau.

Tanner regarda la créature d’un air de défit.

- Réfléchis bien, avant de répondre.

Quoique le générateur lui fasse, il espéra que ça serait suffisamment désagréable pour qu’il reste docile et se mette à table un peu plus sérieusement. Quoiqu’il cache, il finirait bien par le découvrir et en attendant au moins il le gardait ici bien au chaud plutôt qu’il se promène on ne savait où, faisant on ne savait quoi.

Lorsque Fanella se mit en route pour retourner au laboratoire, elle se sentait déjà plus en confiance. Il suffisait sans doute de s’en tenir à ce qu’elle avait décidé pour que tout aille bien. Elle oubliait souvent que le monde n’attendait pas qu’elle le découvre pour être ce qu’il était. Quoiqu’elle apprenne, cela ne changerait rien si ce n’était qu’elle comprendrait mieux les choses qui l’entouraient. Il n’y avait pas à avoir peur, la connaissance, utilisée à bon escient n’avait jamais fait de mal à l’humanité. Elle pouvait apprivoiser cette crainte primaire de l’homme qui se hisse hors de la caverne, elle l’avait déjà fait. Il était inutile de spéculer tant qu’elle n’avait pas pu vérifier aucun de ses hypothèses. Après tout, cette recherche n’en était qu’à son début et au moins, elle avait le mérite de s’avérer déjà particulièrement intéressante et riche. Beaucoup plus ce qu’elle avait imaginé. Elle envisageait déjà en faisant la queue à la petite supérette qu’elle pourrait recruter des cerveaux supplémentaires  : les uns l’aideraient avec la recherche autour de Eugène, les autres continueraient l’expérience telle qu’elle l’avait imaginée au départ. Pour cela cependant, peut-être faudrait-il négocier quelques financements supplémentaires ce qui risquait de ne pas être évident.

Eugène avait attendu d'être effectivement enfermé dans le générateur et d'en avoir la sensation pour lancer assez ironiquement une petite question bien sentie, histoire que personne ne se doute de ses capacités. Dimitrov et Tanner se décomposèrent quelque peu tandis que Jenna était prise d'une fascination qu'il hésitait encore à qualifier de déplacée et emplie de malaise. La sensation de ne pouvoir battre en retraite à sa guise était terrifiante mais il tentait au mieux de ravaler cette panique. Il ne devait pas se laisser déborder par ses émotions, garder la tête froide. Ce n'était pas le premier interrogatoire qu'il subissait ou faisait subir il en connaissait les ficelles.

- C’est simple, tu vas nous dire exactement ce que tu fais ici et pourquoi tu as choisi de répondre à l’appel de Fanella.

- Je ne réponds a personne sous la menace. Dommage pour vous, si vous m'aviez simplement posé la question je me serais fait un plaisir de vous informer, répondit-il sur un ton glacé.

Tanner ne semblait pas accepter cette réponse. Tout comme il ne lui faisait pas suffisamment confiance pour dire la vérité sans le torturer. Les hommes ne changeaient donc jamais.

- Pousse la puissance Jenna, qu’il comprenne bien le sens de notre question.

Elle s'exécuta et la dernière once de déni qui vivait en Eugène mourrut, annihilée par une intense lumière qui lui retira toute pensée cohérente. S'il avait eu un corps il aurait cru brûler vif. Chaque particule de son essence de fantôme se retrouvait saturée d'énergie. Il hurla sans réussir à s'entendre jusqu'à ce que la sensation se retire, le laissant un instant hébété au centre de la salle.

- Réfléchis bien, avant de répondre.

Il releva la tête et soutint le regard de défi du scientifique, tentant de reprendre un souffle qu'il ne possédait même plus de base. Dans ses yeux brillaient une colère noire et bouillonnante qui enflait. Eugène tentait de lutter contre au risque d'en oublier ses valeurs et convictions pour torturer cette homme comme il l'avait fait a d'autres, jusqu'à le conduire à la folie. Il avait en tout cas bien réfléchi avant de répondre.

- Je suis flatté de l'intérêt que vous me portez tous les trois... Risquer ainsi votre carrière professionnelle pour un fantôme, je ne suis pas certain de le mériter.

Il ne put s'empêcher de rire et tenta de s'approcher de la vitre dans la limite de ce que lui permettait l'anneau qui le retenait ici, avec toute la menace qu'il pouvait insuffler a son attitude et un sourire qui se refusait a trahir sa douleur et sa peur. Il pouvait hurler mais pleurer, supplier ou montrer une autre émotion a son geôlier était une mauvaise idée, sauf s'il voulait le laisser croire qu'il gagnait de l'emprise sur lui.

- Monsieur Tanner, sachez que je suis un espion et un militaire entraîné par les meilleurs agents à ne JAMAIS parler. Faites de votre pire, je suis prêt. Vous par contre, vous vous en donnez l'air mais vous n'avez ni les tripes ni la carrure d'un méchant. Vous êtes simplement pathétique. Recourez donc à la violence, elle ne vous apportera rien avec moi. Par contre, je serais là pour accueillir votre âme souillée par votre geste de l'autre côté.

Il priait secrètement que Fanella revienne bientôt. Cette torture s'avérait plus dure à supporter que prévu. Il avait fait face à toutes sortes de blessures et douleurs de son vivant mais il ne se serait jamais cru atteignable en tant que fantôme. Il avait peur de disparaitre a la fin de cette sessions, son esprit et ses particules réduites à néant. Cependant il refusait de partir sans combattre. Ce serait indigne de sa femme et de ses amis

Tanner l’avait vu, il lui avait fait mal. Aucun de ces deux comparses ne pouvaient le nier. Il fut surpris d’en éprouver un certain plaisir. Il aurait cru que l’opération comporterait quelque chose de difficile mais il n’en était rien. A ce moment précis, il était convaincu de faire la bonne chose. Pourtant le ton décontracté du fantôme le déstabilisa lorsqu’il prit la parole.

- Je suis flatté de l'intérêt que vous me portez tous les trois... Risquer ainsi votre carrière professionnelle pour un fantôme, je ne suis pas certain de le mériter.

L’ingénieur ne sut pas exactement quoi répondre à cela. Cependant une partie de lui était convaincue que Fanella ne ferait rien contre lui. Il était le meilleur dans son domaine. Si elle avait un peu de rigueur, elle mettrait sa fierté de côté et reconnaîtrait ses compétences à leur juste valeur. Tanner savait très bien qu’il représentait tout ce qu’elle et tous les petits jeunes de sa génération détestait sans raison apparente  : un homme blanc de la cinquantaine, soit disant privilégié. Les femmes étaient tellement émotives, c’était pour cela qu’aucune ne devait se trouver à la tête d’une aussi grosse entreprise.

- Quand la loi est injuste, la désobéissance s’impose, commenta Dimirtov citant il ne savait plus trop qui.

Jenna malgré tout regardait soudain ses pieds et il la détesta pour ça. Les femmes…


- Monsieur Tanner, reprit le fantôme s’adressant à lui. Sachez que je suis un espion et un militaire entraîné par les meilleurs agents à ne JAMAIS parler. Faites de votre pire, je suis prêt. Vous par contre, vous vous en donnez l'air mais vous n'avez ni les tripes ni la carrure d'un méchant. Vous êtes simplement pathétique. Recourez donc à la violence, elle ne vous apportera rien avec moi. Par contre, je serais là pour accueillir votre âme souillée par votre geste de l'autre côté.

Au moins, ils avaient appris quelque chose que très probablement Fanella ignorait. C’était tant mieux. Il eut un petit rire. A s’approcher ainsi de la vitre, la créature continuait de lui sembler menaçante, un ennemi à abattre.

- Militaire alors… pour quel pays tu travailles dis moi ?

Il se tourna vers Jenna pour qu’elle appuie sa question d’une nouvelle montée en puissance du générateur. Celle-ci amorça son geste puis hésita.

- Tanner, il est pris au piège, on est en sécurité maintenant… tu…tu ne crois pas qu’on devrait attendre que Fanella revienne ?

Dimitrov leva les yeux au ciel.

- Pousse-toi, s’énerva Tanner.

Joignant le geste à la parole, il poussa Jenna et se saisit du bouton. Juste avant d’agir il s’adressa au fantôme de nouveau.

- Tu n’as aucune idée de mes tripes, ou de ma carrure.

Il poussa le potard bien plus loin que Jenna avant lui. Le tremblement fut si intense qu’il raisonna surement dans tout le laboratoire. Le bruit lui vrilla les oreilles. Jenna lâcha un cri de terreur, et Dimitrov plongea en direction du sol. Lui regarda le fantôme droit dans les yeux, dont la pâle silhouette ne masquait pas en arrière fond le véritable feu d’artifice de composants qui surchauffaient les uns après les autres. L’anneau vibrait, tirant sur ses attaches de métal comme un serpent sauvage. Il avait confiance dans les équipes qui l’avaient conçu pourtant alors il fit durer le supplice plusieurs minutes avant de laisser au fantôme l’opportunité de prendre la parole à nouveau. Fasciné par son propre pouvoir, il regarda son visage translucide se tordre.


Fanella était calme et enthousiaste à nouveau lorsqu’elle déposa ses quelques provisions dans la salle de pause du laboratoire.

- Mme Ozark, fit une voix timide derrière elle.

Elle ferma le petit frigo pour se tourner vers son interlocuteur. C’était un des ingénieurs de la conception. Elle avait oublié son nom mais elle se souvenait l’avoir recruté.

- Oui ?

L’homme d’une vingtaine d’année se tordit les mains, et baissa les yeux.

- Je crois.. je dois vous dire je crois que j’ai fait une terrible erreur… Tanner Dimitrov et Jenna, ils m’ont demandé de faire des anneaux… des anneaux à inversion miniature.. Les collègues les ont vu passer dans le couloir avec le fantôme…en direction du générateur.

Il ne fallut pas plus d’une fraction de seconde à l’esprit particulièrement vif de Fanella pour comprendre ce qui se passait. Immédiatement ses pensées s’arrêtèrent brusquement de tournoyer. Les mains tremblantes et sans un mot de plus à l’attention du jeune homme, elle se mit en route à grandes enjambées vers le générateur. Un bruit sourd monta progressivement et elle se mit à courir visualisant encore et encore ses mains pousser les portes battantes de la grande salle. Elle n’avait jamais réalisé à quel point ce laboratoire pouvait être immense. Des voix l’interpelèrent pour lui demander la provenance de ce bruit et s’il fallait s’inquiéter, mais elle n’entendit pas vraiment. Son visage répondait de toute façon pour elle.

- Ils poussent trop fort c’est dangereux, commenta le jeune ingénieur qui la suivait.

Il avait parfaitement raison mais pour le moment ça n’était pas sa préoccupation. Elle savait exactement pourquoi ils poussaient trop fort même si lui était trop naïf pour seulement y penser. Elle ne pouvait pas laisser une chose pareille arriver, pas dans son laboratoire. Pas à Eugène qui n’avait rien demandé.

Enfin elle poussa les portes et s’avança malgré le bruit et les tremblements de la vitre qui menaçait de céder, pour découvrir exactement la scène qu’elle redoutait le plus et qu’elle peinait pourtant à croire. Jenna et Dimirtov se bouchaient les oreilles cachés sous la console. Tanner, une lueur carnassière dans le regard maintenait le potard de la puissance en place. Et Eugène…Alors que la nausée montait, elle s’élança en avant et pressa l’arrêt d’urgence.

Un grand claquement retentit, l’espace d’une seconde ils furent tous plongés dans le noir total avant qu’une lumière rouge n’éclaire le cercle qui s’éteignait doucement dans un sifflement léger.

- Tous les quatre, déclara-t-elle d’une voix blanche, vous ne touchez plus à rien, vous ne parlez à personne, vous filez directement à mon bureau et vous m’attendez là bas, c’est compris ?

- On pouvait pas laisser…, essaya Tanner.

Fanella ne s’était jamais sentie aussi en colère de toute sa vie, ce n’était pas un cri, plutôt un rugissement qui monta de sa gorge.

- Tanner pour une fois dans votre vie FAITES CE QUE JE VOUS DIS !

Les quatre responsables de cette catastrophe s’en allèrent sans rien ajouter. Alors seulement elle passa de la rage au désespoir quand la porte se ferma sur eux. Les larmes éclatèrent dans sa voix lorsqu’elle demanda.

- Eugène… est-ce que ça va ?

Triste comme rarement elle l’avait été, inquiète à s’en donner la nausée, elle ne vit pas les quelques crayons qui s’envolèrent à travers la pièce, vers une direction inconnue.

Eugène s’était autorisé à douter un long moment mais au vu de ce que Tanner était en train de lui faire subir et des pensées qu’il avait, il le détestait à présent. De manière aussi viscérale que les limites de sa fantomatique apparence lui imposaient. Il lui était de plus en plus insupportable de ressentir l’écho de son esprit malsain et il commençait à regretter ses décisions de ne pas faire de vagues et de ne pas se défendre. Il lui avait craché au visage quelques dernières paroles pour le faire réagir, lui ou ses acolytes mais elles n’eurent pas vraiment l’effet escompté sauf sur Jenna qui eut l’air de commencer à cogiter. Le scientifique pensait avoir appris certaines informations que Fanella ignorait quand bien même il suffisait de regarder sa tenue pour se douter qu’il avait peut-être été militaire. Il gardait cependant sa longueur d’avance puisque son amie en savait bien plus encore.

- Militaire alors… pour quel pays tu travailles dis moi ?

Eugène répondit au rire de Tanner par un autre sourire. Il estimait ne plus rien avoir à dire pour les faire changer d’avis et ne tenait pas à partager sa vie sous la menace. Il fit signe à Jenna d’appuyer sur les boutons pour surcharger la machine et il serra les dents à l’avance, se préparant à une nouvelle vague de douleur, qui n’arriva cependant pas immédiatement.

- Tanner, il est pris au piège, on est en sécurité maintenant… tu…tu ne crois pas qu’on devrait attendre que Fanella revienne ?

Jenna semblait hésiter mais pas suffisamment pour s’opposer aux deux hommes face à elle et prendre la défense de l’esprit enfermé. Cet espoir là avait disparu. Même celui de voir arriver Fanella commençait à s’étioler lentement.

- Pousse-toi, s’écria Tanner en se saisissant lui-même des commandes. Tu n’as aucune idée de mes tripes, ou de ma carrure.

Oh s’il savait. L’idée de le provoquer, de lui insuffler un petit doute, traversa son esprit mais donner cette information, même à demi-mots, à un homme aussi dangereux ne pouvait apporter que des ennuis. En attestait la douleur qu’il lui infligea à nouveau, sans une once de remords. Eugène se sentit brûler encore pire que la première fois. Chaque cellule de ce qui composait son corps éthéré semblait exploser, s’étirer, se déchiqueter et très vite il en perdit toute pensée cohérente. Aveugle et sourd à ses propres pensées comme à celles des autres, il hurla à nouveau durant un temps qui lui parut infini mais insuffisant ; la douleur continuait toujours. L’esprit ne parvenait même plus à projeter ses pouvoirs pourtant il aurait tout donné pour faire sauter cette vitre, casser cet anneau qui lui donnait l’impression de fondre. Il se tordit de douleur, pris d’affreux spasmes incontrôlables et il entrevit soudain la plage noire et presque ce qu’il se cachait sous l’eau. Allait-il réellement mourir, finalement ? Ou n’était ce que les pensées incohérentes d’une conscience à l’agonie ? Il ne faisait même plus la différence.

Lorsque le bruit affreux de la machine, la lumière cuisante et la douleur cessèrent, Eugène semblait toujours chauffé à blanc, comme plongé dans un bain d’acide qui continuait de ruisseler. Il flottait péniblement au milieu de la salle. Son apparence tremblotante semblait tomber en poussière par endroits. Incapable de maintenir la cohérence de sa propre représentation, son visage se déforma soudain. L’œil gauche disparut pour laisser place à une plaie béante qui déversait ses viscères parmi un sang infini qui se délitait au contact de l’air. Son nez et sa bouche eux-mêmes laissaient couler ce liquide rouge qui paraissait décoléré par son aspect fantomatique. La moitié de son visage semblait brûlée, presque arrachée et ses habits se retrouvèrent couverts d’algues et de vase, enveloppant un corps parfois squelettique, parfois recouvert d’une maigre peau. Heureusement pour lui, Eugène n’avait aucune idée de l’image exacte de sa mort qu’il reflétait désormais, ni de ce qui se passait derrière la vitre sans quoi il se serait probablement jeté sur Tanner s’il en avait encore la force. Déconnecté, incapable d’absorber ses propres pensées et les émotions, il avait manqué l’entrée de Fanella qui venait de lui épargner de nouvelles minutes de souffrances.

- Tanner pour une fois dans votre vie FAITES CE QUE JE VOUS DIS !

Seul son hurlement de colère le réveilla quelque peu et il ouvrit le seul œil qui lui restait, devenu vitreux. Ses pauvres lunettes fracassées volaient à côté de sa tête. Avec ou sans, il lui semblait ne plus rien voir, de toute façon. L’anneau était éteint à présent, rien ne semblait le retenir ici et il se sentait partir. Lentement, peu à peu. Allait-il mourir maintenant ? L’idée le terrifiait tellement qu’il eut l’impression d’étouffer, sa fausse respiration s’emballa, le faisant expulser encore plus de ce sang infini. Et en même temps, si cela signifiait la fin de cette souffrance absurde qu’on lui avait infligée, il ne disait pas non. Tout ça pour quoi ? des réponses qu’il avait déjà données et dont on ne croyait pas la véracité, c’était parfaitement ridicule.

- Eugène… est-ce que ça va ?

Comme Tanner était sorti, il s’autorisa à pousser de longs sanglots. Il reconnaissait la voix de Fanella, elle était là. Était-elle fâchée ou triste ? il ne saurait le dire. S’il avait été capable de bouger, il se serait replié en boule mais son corps incontrôlable continuait de trembler, sa tête de vaciller, ses pieds de s’agiter dans tous les sens. Était-il encore seulement visible ? Il sentait bien qu’il ne gérait plus rien.

- Non, je ne crois pas…

Eugène aurait aimé la rassurer, être capable d’une analyse plus précise de son état. Peut-être minimiser un peu la situation pour qu’elle ne s’inquiète pas. Elle devait avoir tant de choses à gérer. Pourquoi s’embarrasser d’un fantôme qui n’était plus qu’à demi mort maintenant, mais plutôt mort aux trois quarts. Il avait toujours cette sensation d’être tiré vers une destination inconnue. Vers l’anneau plus précisément, comme si son fonctionnement s’était détraqué. Était-ce normal ou non ?

- Je crois que… que quelque chose… cloche, parvint-il à articuler. Ça me tire...

Etait-ce lui ou la machine qui clochait ? Il ne faisait pas de différence. S’il devait disparaître, emporté par une force de plus en plus forte vers la mort, il voulait tout de même essayer de la prévenir. Et en même temps, au-delà de son épuisement, de son morcellement continu, la sensation ne lui était pas familière. Et si la machine était cassée ? Fanella avait après tout parlé de trou noir et il l’avait vu dans les esprits de Tanner et de ses acolytes comme une conséquence potentielle. Il se rappelait avoir joué le jeu pour éviter qu’il n’use de leurs armes de fortune pour éviter cette situation. Peut être que le gros générateur avait grillé autant que lui lorsque Tanner l’avait poussé à fond.

La jeune chercheuse sentait son esprit s’effondrer depuis que les quatre complices de cette atrocités avaient claqué la porte dans son dos. D’une voix ou perçaient les larmes, elle avait demandé au fantôme s’il allait bien. C’était une question stupide de toute évidence. Elle connaissait déjà la réponse. Elle savait jusqu’au tréfonds de son esprit, avec chaque cellule de son corps, qu’elle était arrivée trop tard.

- Non, je ne crois pas…

Elle s’attendait à cette réponse, mais elle eut le mérite de la préparer un peu à ce qu’elle allait voir, lorsqu’elle s’autorisa à relever les yeux et à observer Eugène, ou plutôt ce qu’il en restait. Son corps translucide ressemblait davantage à un cadavre qu’à celui d’un être vivant. Un cadavre qui serait fait de sable, balayé par le vent qui le décomposait peu à peu. Sa bouche explosait des gerbes de sang factice qui s’envolait en nuage autour de lui. En avisant les algues autour de ses pieds, elle pensait à nouveau que son vrai corps se trouvait dans une rivière selon lui et cela ne lui sembla n’avoir aucun sens. Eugène était déjà mort, alors pourquoi avait-elle peur que ce que venait de lui faire Tanner ne le tue ? Elle se souvint qu’il n’était qu’à moitié mort, peut-être qu’avec tout cela, il allait passer de l’autre côté de la plage.

- Mais qu’est ce qu’ils ont fait, qu’est ce qu’il ont fait ? sanglota-t-elle alors qu’elle le savait très bien.

Les souvenirs de la veille refluèrent en elle avec un violence inédite. Elle se souvint la sensation glacée de son corps fantomatique contre le sien mais aussi de la chaleur qui l’avait envahie à ce moment précis, ce sentiment d’être comprise et acceptée par un autre être humain. L’idée que celui qui était le seul à l’avoir comprise pourrait disparaître pour de bon lui fendait le coeur.

Malheureusement, elle n’était pas au bout de ses peines.

- Je crois que… que quelque chose… cloche, articula-t-il avec difficulté Ça me tire...

Fanella renifla et passa brusquement du désespoir à la panique. Sur sa droite un petit bloc note s’envola pour aller se coller contre la vitre. Sur la console de contrôle les crayons et la poussière  s’agglutinaient.

- Merde, merde, merde, merde, merde  !

Elle laissa échapper un cri de rage et de terreur mêlés. Elle ne pouvait le dire à haute voix alors elle se réjouit qu’Eugène puisse lire ses pensées. Un trou noir. Un trou noir était en train de se former. Il devait probablement être si petit qu’il était impossible pour aucun des appareils terrestres de le mesurer. Pourtant sa présence commençait à peser dans l’air, menaçante.  Il était déjà terriblement… trop… lourd.

Elle leva les yeux vers Eugène évanescent à travers la vitre.

- Euh je.. Nous… quelques minutes pas plus après… trop lourd ! articula-t-elle très vite.

L’espace d’une seconde elle se résolut à mourir, et la terre entière avec elle, peut-être même la galaxie. Juste avant qu’une illuminations se produise dans son esprit, une minime étincelle d’espoir qui l’embrasa toute entière.

- Eugène  ! Les objets  ! Vous pouvez bouger les objets  ! Vous pouvez changer la gravité  ! Le trou  ! Il faut refermer le trou ! Pitié  ! cria-t-elle complètement hystrérique.

Oui, elle éprouva le besoin de cette dernière supplique en renfort, parce qu’après ce qu’il venait de vivre, Eugène pouvait très bien se foutre de sauver l’humanité, elle, ou ce laboratoire. Elle l’aurait compris. C’était la seule option qu’elle avait. Rallumer le générateur était hors de question vu son état et de toute façon, il ne pouvait rien une fois le trou était apparu.

A nouveau, la vitre se mettait à vibrer dangereusement et d'inquiétant craquement et grincement se mettaient à retentir autour d'eux. Quelques minutes... elle était trop optimiste.

L’étrange attraction qui attirait Eugène ne semblait faire aucun doute pour Fanella. De son côté de la vitre, des objets voletaient tranquillement dans sa direction, seulement interrompus dans leur voyage par la barrière de verre qui vibrait. Un trou noir ? Dans son esprit confus ne se dessinait que de vagues souvenirs de livres de physique datés d’un temps où l’on avait peu d’information sur ces objets célestes. Il s’en faisait l’idée de maelstroms spatiaux monstrueux qui avalaient tout sur leur passage et dont rien ne ressortait. Allait-il être avalé et Fanella avec lui ? Une perspective de fin de vie qui ne lui plaisait guère.

- Euh je.. Nous… quelques minutes pas plus après… trop lourd !

Il comprenait vaguement ce que la chercheuse voulait dire, grapillant ça et là quelques pensées dans la panique qui imprégnait son esprit. Il voyait le laboratoire s’effondrer sur lui-même, avalé, puis le reste suivrait. C’était une absolue catastrophe. Aurait-il pu l’éviter s’il avait réagi autrement ? Le temps était mal choisi pour ce genre de questions. Le sien était compté et peut-être bien celui de toute l’humanité.

- Eugène  ! Les objets  ! Vous pouvez bouger les objets  ! Vous pouvez changer la gravité  ! Le trou  ! Il faut refermer le trou ! Pitié  !

L’intéressé sembla se réveiller un peu plus face à cette demande qu’il trouva au premier abord farfelue. Oui il faisait bouger les objets mais il n’était jamais allé au-delà d’un tank ou d’un avion. Diable, il arrivait à peine à repousser l’eau jetée d’un seau alors un trou noir ? Quelle force devait-il opposer à cette gravité qui broyait tout sur son passage ?

- Je… je vais essayer… décréta-t-il en essayant de conserver son assurance.

Il ne voulait pas faire de promesses qu’il ne pouvait pas tenir. Tout comme il ne pouvait pas affirmer qu’il reviendrait auprès de Fanella après cet acte. Mais il devait au moins essayer. Pour elle et pour tous les autres êtres sur cette planète qui n’avaient rien demandé. Lui n’avait après tout rien à perdre, sauf ce qu’il lui restait d’esprit, déjà à moitié en train de partir. Le fantôme se tourna donc vers l’anneau dont le centre semblait être la source de cette gravité. Le temps pressait, aussi ravala-t-il douloureusement l’expérience cuisante qui venait de lui arriver et l’idée de la mort pour se concentrer. Il tenta de créer un champ de force autour de ce point vorace qui céda la première fois mais qui lui permit au moins de jauger sa puissance. Toute la pièce tremblait autour de lui tandis qu’il s’employait à faire refluer la gravité jusqu’à être assez proche du trou noir pour l’inverser. Il avait beau être déjà épuisé, il atteignait de nouvelles limites qu’il n’aurait jamais cru franchir. Ses mains tendues vers l’anneau semblaient menacer de s’arracher de son corps éthéré en réponse à la lutte des deux gravités qui faisait rage.

Après un moment qui lui parut tout aussi long que celui où Tanner l’avait torturé, la force d’attraction s’effondra sur elle-même dans une onde dont la vibration endommagea encore plus le générateur et fit se craqueler la vitre de la salle de commandes. Les objets retombèrent au sol et le corps d’Eugène fut projeté en arrière, incapable de résister à la vague. Penser et même flotter lui devenait douloureux. Déjà il voyait son corps disparaître dans l’atmosphère. Après tout, il avait prévenu Fanella, bouger les objets était ce qui lui coutait le plus d’énergie et elle ne se régénérait pas comme un corps qu’on pouvait laisser aller au sommeil quelques heures. Il ne savait même pas s’il allait récupérer tout court. Eugène jeta un dernier regard profondément triste et désolé à son amie, voulut ouvrir la bouche pour tenter de s’excuser, ou de lui dire adieu. Les mots se bousculaient au bord de ses lèvres, esquisse d’une dernière pensée mais aucun son ne sortit. Il se délita avant comme un pissenlit soufflé au vent, un nuage de fumée balayé d’une main. L’instant d’après il plongeait, paralysé par la fatigue et la lassitude dans les méandres d’une eau sombre, glacée et étouffante dont il ignorait s’il allait émerger.

La panique obscurcissait presque entièrement l’esprit de Fanella, mais elle avait pu parvenir à une idée cohérente. Une idée qu’elle avait maladroitement formulée. A présent, il n’y avait plus rien à faire mis à part prier et attendre.

- Je… Je vais essayer… répondit le fantôme.

- Merci, merci, articula la chercheuse les joues ruisselantes de larmes.

Le fantôme dont le corps s’évanouissait de plus en plus se tourna vers le cercle du cercle. Elle vit distinctement sa première tentative échouer et elle se décomposa à mesure que l’idée de la mort s’approchait d’elle de plus en plus. Finirait-elle coincée sur une plage ? Passerait-elle en paix de l’autre côté ? Eugène semblait ne presque plus exister pourtant, il essaya à nouveau, les mains dont les doigts se dissolvaient autour du trou qu’elle ne voyait pas. Elle sentait la pression jusqu’au fond de ses tripes Terrorisée, cédant à la panique elle se recroquevilla sous le tableau de contrôle.

Il y eut comme une explosion. Les objets en suspensions retombèrent en cascade. Elle entendit distinctement la vitre se craqueler. Il lui fallut quelques instant pour émerger de l’effroi et comprendre que le pire avait pu être évité. Elle se redressa, passant timidement la tête au dessus de la console. A travers sa vitre, ou ce qu’il en restait, elle eut tout juste le temps de le voir balayé vers l’arrière. Elle observa sa bouche s’ouvrir mais n’entendit aucun son. Elle aurait donné n’importe quoi pour lire ses pensées à cet instant précis, et savoir les mots que ses lèvres impuissantes avaient voulu prononcer. Le mystère resterait entier car avant qu’elle même ait pu retrouver ses esprits et tenter au moins de s’excuser pour tout le mal que ce laboratoire lui avait fait, elle fut seule à nouveau.

Elle s’effondra encore et se roula en boule pour pleurer au milieu du désordre des objets retombés au sol dans l’anarchie la plus totale. Elle se sentait glacée à l’intérieur à l’idée qu’il était parti, peut-être vraiment, peut-être de l’autre côté, celui qu’elle ne pouvait pas atteindre. Peut-être aurait-elle du se réjouir qu’il ait trouvé une sorte de paix, mais elle en doutait vu les circonstances de son départ. Rattrapée par un élan religieux inexplicable, elle se demanda si un enfer existait après la mort.


Fanella était véritablement à bout de forces lorsqu’elle poussa la porte de son bureau, même si elle avait séché ses larmes. Les conversations qu’ils tenaient tous à voix basse prirent fin immédiatement. Seul Mason ( elle venait de se souvenir de son nom) n’y prenait pas part. Assis dans le petit canapé, il observait ses pieds religieusement.

- Je ne veux rien entendre, déclara-t-elle, je suis simplement venue vous faire part de ma décision en ce qui vous concerne.

Elle prit le temps de s’assoir derrière son bureau de verre pour leur faire face et qu’ils puissent bien sentir qu’elle ne plaisantait pas le moins du monde.

- Tanner, Dimitrov, Dostoy( qui était le nom de famille de Jenna). Vous êtes tous les trois virés pour faute grave, avec effet immédiat. Posez vos stupides armes juste là.

Ni Dimitrov, ni Jenna ne se défendirent. Ils se contentèrent d’hocher la tête en silence et des larmes perlèrent aux yeux de l’informaticienne. Fanella n’arrivait pas malgré tout à éprouver de la compassion pour elle, alors que dans sa tête les images du corps défait de Eugène tournaient encore et encore dans sa tête et l’expression de son visage lorsqu’il avait finalement disparu. Elle même avait contemplé l’idée de sa mort et de celle de l’humanité l’espace d’une minute. Mais Tanner ne baissait pas les yeux, évidemment il refusait d’accepter son sort, évidemment il eut l’outrecuidance de lui répondre.

- Vous ne pouvez pas vous passer de moi et vous le savez, déclara-t-il très calme.

Même Dimitrov d’ordinaire de marbre eut l’air choqué.  De toute façon, Fanella était trop endeuillée, épuisée, rincée par toutes les émotions qu’elle venait de traverser pour se mettre en colère.

- C’est ce que je croyais jusqu’à aujourd’hui, répondit-elle tranquillement. Seulement d’un point de vue purement pratique, vous avez quasiment détruit un générateur qui va nécessiter une bonne semaine de réparations, sans parler des frais que cela va engendrer. Ah et aussi… vous avez ouvert un trou noir en poussant la puissance à fond alors que vous connaissiez les risques. De toute évidence, vous êtes beaucoup plus impulsif que ce que je pensais et cela à faillit nous coûter la vie. Et quand je dis nous, je veux dire l’humanité entière. D’un point de vue humain et éthique, vous avez détourné une invention récente et novatrice pour créer une arme, avec l’intention de vous en servir sans avoir mesurer les risques. Vous avez utilisé notre générateur, notre travail commun, le sujet de notre fierté comme un instrument de torture dès que j’ai eu le dos tourné. Pire encore, vous ne semblez rien regretter de toute cela. Alors oui, Tanner, je peux tout à fait me passer de vous. Il n’y a pas que vos compétences qui importent. De toute façon le débat est clos. Vous êtes viré.

Tanner cette fois ne répondit rien.

- Il y a eu.. un trou noir… balbutia Jenna.

Fanella soupira. Elle était si épuisée, elle voulait juste que tout cela se termine et aller se cacher quelque part pour pleurer à nouveau.

- Oui…et vous ne devinerez jamais qui l’a refermé en utilisant ses dernières forces. Je n’ai aucun moyen de savoir s’il est toujours dans l’entre deux, ou passé pour de bon de l’autre côté. Autrement dit d'une certaine manière vous avez peut-être bien tué quelqu'un.

- Oh, souffla l’informaticienne.

- Bien, reprit Fanella, avant que l’émotion ne s’empare d’elle à nouveau. Je vous rappelle que vos accords de confidentialité courent toujours et ce jusqu’à la fin de votre vie. Sur ce, vos armes.

Tous les trois se levèrent et posèrent délicatement les trois petit pistolets à anneaux sur la table de verre.

- Maintenant hors de ma vue, conclut-elle.

Il s’en allèrent sans autre cérémonie. Fanella se sentit étrangement soulagée de s’être débarrassée de Tanner. Une pression en moins lors des réunions à gérer. Elle avait presque oublié Manson qui avait écouté tout ce dialogue en silence.

- Je suis désolé, commença-t-il. Je ne savais pas ce qu’ils voulaient en faire.

- Vous auriez pu vous en douter, répondit-elle.

- Oui, je sais mais j’essaye toujours de bien faire et…

Elle le coupa parce qu’elle n’en pouvait plus.

- Vous êtes mis à l’épreuve Manson. Pour l’instant je vous garde, mais je veux un rapport hebdomadaire de toutes vos activités. Et évidemment vous êtes tenu de réparer votre erreur en vous débarrassant de ces choses dans le respect des normes de sécurité.

Il se mit à pleurer devant elle.

- Merci… merci beaucoup Mme Ozark, j’aime tellement mon travail ici que je…

- Maintenant laissez-moi s’il vous plaît.

Il se leva et recula comme si le canapé l’avait mordu.

- Oh oui, bien sur.

Fanella s’effondra en larmes sur son bureau. Dès qu’elle reprit quelque peu son souffle elle appela sa mère qui comme toujours lui conseilla de ne pas prendre les choses trop à coeur, de faire preuve de moins de sentimentalisme et de venir passer une petite semaine à la maison. D’ordinaire cela l’aurait exaspérée, mais là, elle se sentait si vulnérable et elle n’avait personne d’autre vers qui se tourner, quand bien même elle ne pourrait jamais raconté ce qui venait de se produire exactement.

Elle appela aussi Jonathan, pour lui dire qu’elle prenait une semaine sur tous les congés qu’elle n’avaient pas pris depuis toutes ces années. A lui, elle put expliquer la situation en détail et il se réjouit que Tanner soit hors de circuit. Beaucoup moins de ce qui était arrivé à Eugène et du fait que sans le savoir, ils avaient frôlé la mort. Il s’avéra gentil et soutenant et fut le premier à lui parler du fantôme comme d’une personne qu’ils avaient perdu tous les deux. Mais de toute façon Fanella se sentait humiliée, désespérée, épuisée, coupable et infiniment triste alors finalement, il ne put rien pour la consoler.