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Un grand voyage s'annonce...


 
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Un grand voyage s'annonce... :: 

Demons & Angels

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50 states of American Dream

 
Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Un grand voyage s'annonce...Dim 31 Oct - 16:54
Eugène comprenait à présent clairement l’expression : ‘’la vie ne tient qu’à un fil’’. Il n’était plus que ça, un fil, une poussière, un infime grain de conscience sans souvenirs et sans émotions, dont la seule pensée était qu’il existait encore. A la dérive dans un sombre océan, balloté par les courants, il ignorait s’il continuait de descendre dans les méandres de la mort ou s’il était en train de remonter vers la plage. Les premiers jours avaient été ainsi, une lente incertitude dans laquelle se perdait le temps et l’espace tandis qu’il essayait de se rappeler son nom, la forme de son corps, le son de sa propre voix, ce qu’il lui était arrivé pour qu’il se retrouve dans une telle situation. Puis au fur et à mesure que lui revenaient les images et les sensations, la lumière ondoyante de la surface l’avait baigné et il avait redécouvert la présence de son visage. Il ne pouvait le voir bien sûr mais il sentait qu’il était là, qu’il s’était reconstruit comme le reste de son corps autour de ce petit grain de conscience qui remontait. Encore, se dit-il finalement tandis qu’il perçait la surface et qu’une vague pleine d’écume blanchâtre l’envoyait percuter la plage avec fracas.

Certains fantômes errant sur le sable noir avaient hurlé en le voyant ressortir des vagues, d’autres ne lui avaient prêté qu’une courte attention avant de s’enfoncer dans l’eau pour ne jamais en revenir. Certains se demandaient a voix haute ce qui avait bien pu lui arriver, qu'est ce qu'on avait donc bien pu lui faire subir. Il voyait à travers les bribes de pensées de leurs esprits confus dans quel état pathétique il était et il ferma les yeux, poussant un long soupir résigné et plein de lassitude. Peu à peu les souvenirs lui étaient revenus ; Fanella et sa machine, leurs longues discussions et un instant, il se rappela les heureuses émotions qu’il avait ressenties à nouveau à son contact, qui chassèrent un peu la tristesse de n’être toujours pas mort. Et la douleur. Il n’aurait jamais cru qu’un fantôme puisse souffrir avant que Tanner ne retourne la machine contre lui. Il en souffrait encore, comme si on l’électrocutait à intervalles réguliers tandis qu’il se tenait là incapable de bouger ou de se relever. Il était encore bien trop faible, mais pas au point de se dire que les vagues pourraient avoir envie de l’avaler à nouveau pour de bon. Pourtant, il lui semblait ne pas être passé loin de la vraie mort et cela lui fit presque peur. Eugène était décidément incorrigible.

Les jours passèrent, du moins il en avait l'impression puisqu'aucun soleil ne se couchait ou ne se levait, jusqu’à ce qu’il puisse trouver la force de se retourner sur le dos, puis de se trainer un peu plus loin de l’eau pour s’asseoir dans le sable, suffisamment loin des vagues. Son corps était toujours pris de spasmes tremblants mais il semblait moins couvert d’algues et de sang que lorsqu’il avait disparu. Jusqu’à l’épuisement de son esprit, il avait cogité ; devait-il rester là et laisser Fanella tranquille ? Elle devait le penser mort pour de bon et c’était peut-être mieux ainsi. Il n’avait fait que lui attirer des ennuis et avait retourné Tanner contre elle. Parce qu’il n’avait pas voulu révéler qu’il lisait dans les pensées, ce dernier avait créé un trou noir menaçant toute l’humanité juste pour avoir des réponses. Même s’il l’avait refermé – ce dont il ne se serait jamais cru capable – il s’en sentait toujours en partie responsable. Et pourtant il aurait tellement apprécié la revoir, pouvoir discuter à nouveau avec elle, partager son esprit si brillant même s’il ne comprenait pas toute la trame de ses pensées. Juste se sentir exister de nouveau à travers elle, partager quelque chose avec une autre. Eugène avait conscience que c’était égoïste mais il ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’elle l’accueillerait à nouveau, qu’elle lui pardonnerait peut-être tout ce chaos qu’il avait engendré. De toute façon il ne pouvait qu'attendre là de retrouver des forces pour faire le voyage avant de prendre une décision. Même si dans sa tête il se disait déjà que tout était mieux ailleurs qu'ici, parmi les morts. Jamais il ne trouverait le repos mais ce n'était peut être pas bien grave.

Il était là, à écouter les vagues s'écraser et les fantômes supplier de revenir sur Terre pour certains. D'autres avaient fait leurs derniers adieux et partaient en un flux continu. Une ambiance qu'il trouvait de plus en plus cauchemardesque et intolérable depuis qu'il avait vu le monde d'aujourd'hui en compagnie de Fanella, depuis qu'il l'avait serrée dans ses bras. La douleur n'arrangeait rien non plus au fait d'attendre et il pleurait depuis un bon moment lorsqu'une sensation étrangement familière sembla envelopper son apparence fantomatique. Comme portée par la brise, la voix de Fanella lui parvint, posant la même question que lors de leur première rencontre. Si la première fois Eugène était allé de sa propre volonté à sa rencontre il devait aujourd'hui se laisser tirer par l'énergie du générateur encore trop faible pour vraiment bouger.

Avait il rêvé de cette première rencontre ? Non il avait été bien trop heureux et avait bien trop souffert pour le croire. Et si Tanner lui tendait en fait un autre piège ? Et s'il le rappelait pour le torturer à nouveau ? Non Fanella n'aurait sans doute jamais accepté de collaborer, n'est ce pas ? Les fantômes s'étaient arrêtés tandis que pris de panique, Eugène hésitait. Certains se dirigèrent vers cette brèche dorée pensant qu'elle leur ouvrirait la porte du paradis. De l'autre côté la chercheuse dut d'abord faire face à deux trois fantômes abasourdis de se rendre compte qu'ils n'étaient pas dans la cité d'argent mais dans une drôle de machine.

- Où sommes-nous ? Quel est cet endroit ? s'étaient-ils mis à crier. Ce n'est pas le paradis... Piégés, on nous a piégés, c'est l'enfer !

Attiré par la machine, Eugène ne tarda pas à passer lui aussi la barrière de la réalité. Après une rapide réflexion il s'était dit que si c'était effectivement Tanner qui lui tendait un piège, il savait a présent de quoi il en retournait et il ne voulait laisser aucun autre fantôme subir une telle douleur à sa place. Le halo bleu devenu familièrement terrifiant l'éblouit tandis qu'il sentait peu à peu l'énergie revenir à lui. C'était plus désagréable que la dernière fois. Il avait l'impression qu'on venait de le jeter hors du lit pour le forcer à boire des litres de café censé le réveiller plus vite. Les fantômes s'accrochèrent à lui l'espace d'une seconde avant qu'il ne trouve la force de les renvoyer sur la plage.

Le calme revint rapidement dans la salle et il put tourner la tête vers la salle de contrôle du générateur qui n'avait pas bougé, comme dans ses souvenirs. Là se tenait Fanella et aucune trace de Tanner dans les environs. Il en fut tellement soulagé qu'il aurait pu en pleurer. Peu à peu il distinguait dans la vitre qu'il reprenait une apparence normale, la plaie béante de son oeil disparaissant peu a peu. Seuls quelques tremblements restaient et l'esprit ignorait si, comme la douleur, ils allaient finir par partir eux aussi.

- Bonjour Fanella, commença-t-il la voix tremblante d'émotion.

Il flottait comme la première fois dans la pièce proche de l'anneau bleu. Si la machine lui avait inspiré confiance aujourd'hui ce n'était plus vraiment le cas et ses pensées filaient a toute vitesse pour tenter de contenir la terreur qui grandissait en lui.

- Vous allez bien ? Combien de temps à passé ? Est ce que... Vous pouvez éteindre le générateur ? Je peux venir vous voir ? S'il vous plaît...

Ses questions ne trahissaient que trop bien sa panique et sa dernière question sonnait presque comme une supplique. Il ne voulait pas rester enfermé ici, provoquer un autre trou noir ou que la douleur augmente encore. Il imaginait déjà Tanner débouler et appuyer sur le potard a fond encore une fois. Les bras serrés autour de son corps, il attendit néanmoins son autorisation avant de faire la moindre bêtise.
Eugène (The Sorrow)
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Dim 31 Oct - 23:35
Après avoir envoyé son message comme une bouteille à la mer, Fanella attendit dans le silence seulement rompu par le sifflement du générateur. Ses mains tremblaient alors nerveusement elle les attrapa pour les serrer entre elles. Si personne ne répondait, elle reviendrait demain, et après demain et le jour suivant. Combien de temps pourrait-elle espérer de la sorte ?

Pourtant des voix se firent entendre. Le son résonna à ses oreilles retransmis dans les hauts parleurs mais clairement audible depuis l’autre côté de la vitre. Ils étaient plusieurs, visiblement paniqués et Fanella se sentit coupable. Elle ne voulait effrayer personne.

- Où sommes-nous ? Quel est cet endroit ? s'étaient-ils mis à crier. Ce n'est pas le paradis... Piégés, on nous a piégés, c'est l'enfer !

- Ne paniquez pas, vous n’êtes pas en enfer, mais au laboratoire de Salt Lake City, j’étudie les rapports entre l’antimatière et la mort…


Elle aurait du se sentir enthousiaste à l’idée de rencontrer de nouvelle entité qui semblaient beaucoup plus accessibles à la discussion que celles que les équipes de terrain croisaient sur terre. La vérité était que la déception l'envahissait. Elle comptait environ quatre personnes à l’air perdu.

Après un coup d’oeil aux chiffres, son coeur fit un bond dans sa poitrine. La courbe s’agitait trop, beaucoup trop. Ces quatre entités ne suffisaient pas pour expliquer une telle explosion de la masse d’antimatière et de l’inversion des fronts d’ondes. Les fantômes se retournèrent d’un même mouvement.

Alors elle aperçu son visage dans toute cette confusion d’esprits paniqués. Il était calme, mais elle pouvait dire qu’il souffrait. Son corps translucide portait encore les traces de ce qu’il avait vécu. Immédiatement elle explosa en larmes. Les fantômes qui n’avaient de toute façon aucune envie d’être là repartirent et brusquement elle fut face à lui. Elle ouvrit et ferma les bouches alors que les sanglots se bousculaient. La honte, la culpabilité mais aussi une joie sans borne et une gratitude sans nom la submergèrent d’un même mouvement. Elle s’accrochait au panneau de contrôle, pour éviter que ses jambes ne cèdent sous son poids.

- Bonjour Fanella, commença-t-il d’une voix chargée d’émotions.

- Eugène… ce fut tout ce qu’elle put articuler.

Elle l’observa, le dévora des yeux pour se convaincre que ça n’était pas un énième rêve et qu’elle n’allait pas se réveiller dans le grand lit à baldaquin chez sa mère. Elle ne pouvait dire s’il allait bien, mais il était là. Réellement là. Autant qu’il pouvait l’être.

- Vous allez bien ? Combien de temps à passé ? Est ce que... Vous pouvez éteindre le générateur ? Je peux venir vous voir ? S'il vous plaît...

Elle serrait ses bras autour de son corps, comme s’il avait peur. Fanella réalisa soudain qu’il se trouvait exactement là où Tanner lui avait fait tant de mal. Elle n’avait pas une seconde envisager les choses sous cet angle. D’un geste maladroit elle éteignit la machinerie dont le sifflement disparut progressivement alors que l’anneau bleu s’éteignait. A travers ses larmes qui roulaient abondamment sur ses joues elle se mit à parler très vite.

- Eugène… je suis tellement désolée pour ce qu’ils… le trou noir, merci pour le trou noir on serait tous morts sinon tous et euh… oui évidemment vous pouvez venir me voir. Je suis si contente que vous soyez là, j’ai cru…
(elle cru bien qu’elle n’allait pas pouvoir finir cette phrase) J’ai cru que vous étiez vraiment mort cette fois…

Elle renifla, réalisant qu’elle avait oublié une question.

- Une semaine… il s’est passé à peu près une semaine. Ne vous inquiétez pas, le générateur a été sécurisé et il n’y a que moi qui peut l’allumer maintenant. Tanner et les autres sont virés et sous surveillance. Vous ne risquez plus rien.

Elle avait oublié qu’elle n’avait pas besoin de dire cela tout d’un bloc. Après tout, il lisait les pensées. Elle était si heureuse que ses jambes cédèrent finalement sous son poids et elle tomba assise sur le sol, souriant à travers les torrents qui coulaient sur ses joues.
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Lun 1 Nov - 10:06
Eugène tentait tant bien que mal de ravaler la peur qui gonflait dans sa poitrine et menaçait d’exploser. Le bruit du générateur, même doux, lui paraissait insupportable, la lumière aussi aveuglante que lorsque Tanner l’avait utilisé. Par-delà les images se superposaient celles de ses années passées en laboratoire, de l’entraînement à résister à la douleur. Pour y résister il fallait tout de même la ressentir et d’une certaine manière toute sa vie avait été pavée de beaucoup de souffrances, celles des autres comme la sienne. Même s’il pouvait résister à la torture sur le moment, le contrecoup lui montrait qu’il avait peut-être atteint sa limite. Lorsque Fanella éteignit le générateur sur sa demande désespérée, il ne put s’empêcher d’éclater en sanglots. Elle parla au moins aussi vite que lui et il sentait leurs émotions se bousculer à l’unisson à l’intérieur de sa tête. Il devint très vite assez difficile de se concentrer sur ses mots mais ses pensées lui apparaissaient clairement.

- Eugène… je suis tellement désolée pour ce qu’ils… le trou noir, merci pour le trou noir on serait tous morts sinon tous et euh… oui évidemment vous pouvez venir me voir.

Le trou noir était presque devenu le cadet de ses soucis. Il avait fait de son mieux pour le refermer et cela semblait avoir fonctionné. Même s’il était apparu plus ou moins à cause de lui, Eugène avait des choses plus urgentes à penser et à ressentir et il se précipita à travers la vitre dès qu’elle le lui autorisa mais la salle des commandes ne l’aida pas vraiment à se sentir mieux.

- Je suis si contente que vous soyez là, j’ai cru… J’ai cru que vous étiez vraiment mort cette fois…

- J’y ai cru aussi pendant un moment, avoua-t-il d’une voix blanche qui retenait mal le reste de ses pleurs. Il m’a… je ne sais pas ce qu’il m’a fait exactement mais ça m’a fait tellement mal et ça continue… et je ne sais pas si ça s’arrêtera un jour… D’abord j’ai cru que c’était lui qui avait rallumé le générateur pour continuer ce qu'il avait commencé… s’il vous plait, je ne voudrais plus m’en approcher.

Fanella devait sans doute avoir besoin du générateur pour ses analyses. Si elle le lui demandait il accepterait peut-être d’y retourner en se faisant violence mais pour l’instant, plus il en était loin et mieux il se portait. Savoir que la machine pouvait le piéger, le forcer à rester pour qu’il ne puisse pas se soustraire à une séance de torture le rendait malade. La scientifique tomba à genoux lorsque ses jambes se dérobèrent et il fit de même, posant son front glacé contre son épaule pour tenter d’y retrouver autant de réconfort que dans ses paroles.

- Une semaine… il s’est passé à peu près une semaine. Ne vous inquiétez pas, le générateur a été sécurisé et il n’y a que moi qui peut l’allumer maintenant. Tanner et les autres sont virés et sous surveillance. Vous ne risquez plus rien.

Il était soulagé, une semaine aurait pu être des années. Malgré tout il ressentait à quel point il lui avait manqué et cela le laissait drôlement ému. Il la voyait pleurer dans un étrange lit, accompagnée de peluches, puis l’espoir de le retrouver à l’annonce de la réparation de la machine. Il ne s’attendait pas à lui avoir laissé une si forte impression. Tout cela était réciproque et il avait beaucoup pensé à elle pour se raccrocher à quelque chose. En même temps, sa simple présence et la révélation de ses pouvoirs l’avaient bouleversée. Il ne savait pas trop ce que lui faisait l’annonce du départ de Tanner, un brin de satisfaction se mélangeait au reste de son soulagement mais une pointe de regret transperçait son cœur. Il était malgré tout un bon scientifique et Fanella avait du se passer de lui. Certes, il aurait pu réagir autrement, donc ce n’était pas entièrement de la faute du fantôme mais comme pour tout le reste il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il en était la cause, du moins en partie. Il ne voulait cependant pas parler de lui tout de suite, pas avant d’avoir réussi à éclaircir ses idées. Toutes ces émotions l’épuisaient déjà tellement. Avec peine, il ravala ses sanglots, releva la tête et essaya de lui sourire.

- Il vous faudra faire un peu mieux que ça pour vous débarrasser de moi, plaisanta-t-il d’une voix tremblante et mal assurée mais dans laquelle transparaissait malgré tout sa joie d’être là. Je vous l’avais dit, je suis un bon fantôme, un vrai pot de colle.

Même un trou noir n’avait pas eu raison de lui. Il ne savait pas si c’était une bonne chose à mettre sur un CV ou non. Eugène n’avait jamais vraiment eu la grosse tête mais il était malgré tout fier de cet exploit. Après sa tentative pour alléger un peu l’atmosphère, il redevint un peu plus sérieux, prenant quelques respirations pour continuer de se calmer.

- Je me suis demandé si c’était une bonne idée de revenir après tout ça, si ce n’était pas mieux que tout le monde me croie mort pour de bon… mais c’était trop difficile à imaginer et j’avais encore tant de choses à vous dire… Je suis tellement désolé de tout ce qui est arrivé.

Il ne regrettait pas d’être revenu la voir. Il s’en serait voulu de la laisser ainsi seule lorsqu’il ressentait à quel point il pouvait compter pour elle maintenant. Et elle comptait aussi pour lui. Rester parmi les morts aurait été une décision impossible à tenir, la continuité de sa torture. Ça aurait été laisser Tanner gagner. Il allait tout faire pour ne pas la laisser une deuxième fois. Heureusement, une nouvelle ouverture de trou noir ne semblait pas prévue au programme.
Eugène (The Sorrow)
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Lun 1 Nov - 11:34
Dès qu’elle éteignit le générateur, il fondit en larmes. Elle réalisa encore d’avantage que cela avait peut-être été une erreur de le ramener là. Avait-il eu le choix ? Le processus lui avait-il encore infligé de la douleur. Elle était une apprentie sorcière jouant avec le feu et rien de plus. Manipuler des choses dont elle ne savait pas grand chose, c’était peut-être trop dangereux.

- J’y ai cru aussi pendant un moment, dit-il et les pleurs de Fanella redoublèrent. Il m’a… je ne sais pas ce qu’il m’a fait exactement mais ça m’a fait tellement mal et ça continue… et je ne sais pas si ça s’arrêtera un jour… D’abord j’ai cru que c’était lui qui avait rallumé le générateur pour continuer ce qu'il avait commencé… s’il vous plait, je ne voudrais plus m’en approcher.

L’idée que la souffrance n’avait pas pris fin pour lui acheva de la terrasser. Elle tomba sur le sol, assise derrière la console juste après lui avait dit qu’il pouvait s’approcher s’il le souhaitait. Elle se promit qu’elle ne l’utiliserait plus sur lui, plus jamais. Comment n’avait-elle pas pu penser à cet aspect du problème ? Il ne lui en voulait pas de toute évidence puisqu’il plongea vers elle et posa son front contre ses épaules. Elle passa un de ses bras autour de lui et immédiatement la sensation de froid la fin claquer des dents mais elle s’en fichait. Malgré toutes les autres émotions qui l’envahissaient, elle était si heureuse qu’il soit là, pour de vrai.  Elle lui expliqua que tout avait été fait pour sécuriser le générateur.

A travers ses propres larmes, il releva la tête pour lui sourire. Elle-même ne trouvait pas la force d’en faire autan pour l’instant.

- Il vous faudra faire un peu mieux que ça pour vous débarrasser de moi,
plaisanta-t-il. Je vous l’avais dit, je suis un bon fantôme, un vrai pot de colle.

Cette fois elle se laissa sourire elle un peu, et lâcha un petit rire quelque part entre  ses sanglots et ses dents qui claquaient toujours. Elle était d’accord pour qu’il la colle longtemps encore. Et oui de toute évidence il était exceptionnel. Aucun autre fantôme n’aurait survécu à pareil traitement.

- Je me suis demandé si c’était une bonne idée de revenir après tout ça, si ce n’était pas mieux que tout le monde me croie mort pour de bon… mais c’était trop difficile à imaginer et j’avais encore tant de choses à vous dire… Je suis tellement désolé de tout ce qui est arrivé,
reprit-il.

Fanella passa immédiatement de la tristesse et la joie à la colère.

- Ne dites pas ça, le gronda-t-elle avant de pouvoir s’en empêcher. Je ne m’en serais pas remise si je ne vous avais pas retrouvé. Et même, toutes les vies ont de la valeur, ici ou ailleurs. Rien de tout ça n’est de votre faute. Vous avez fait, point par point tout ce que je vous dis demandé sans poser de questions. Vous avez été honnête avec moi alors que ça vous a couté. Je suis bien contente d’être débarrassée de Tanner et les autres.

Lorsqu’elle était enfant, Fanella disait souvent à sa mère qu’elle voulait en finir avec la vie et cela lui causait une grande tristesse. La jeune chercheuse se souvenait très bien comme elle se sentait dans ces moments là. Elle avait même essayé une fois de se jeter d’une fenêtre mais heureusement une servante était arrivée juste à temps. Quand elle y repensait aujourd’hui, elle se disait juste que cela aurait été un énorme gâchis. L’idée qu’Eugène pouvait traverser le même type d’émotions par sa faute lui était insupportable. En tout cas malgré elle, il venait encore surement d’en apprendre sur elle. Pour une fois elle s’en fichait. Au moins il savait qu’elle comprenait et jusqu’à quel point.

- Tout ce qui s’est passé, reprit-elle avec les larmes affluaient de nouveau. C’est de ma faute. Je n’aurais jamais du recruter un type comme Tanner et croire que ses compétences devaient être prise en compte avant le fait que ses valeurs sont contraires aux miennes. Je n’aurais pas du perdre mon sang froid et vous laisser retourner seul au laboratoires. J’avais tous les éléments en mains pour savoir que la situation allait dégénérer même si je n’imaginais pas que cela irait aussi loin…

La jeune femme fit un effort pour se reprendre. La priorité était déjà de quitter cette pièce alors elle se leva. Elle aussi, avait des choses à dire à Eugène.

- On ne peut pas revenir en arrière… mais venez… j’ai quelque chose à vous montrer.

Elle sécha ses larmes, serrant ses bras autour de son corps pour se réchauffer un peu. Il était temps de se reprendre et de laisser la joie gagner. Elle voulait lui faire la surprise mais évidemment cela était impossible. Dans son esprit se dessinaient des images d’une rivière telle qu’elle l’imaginait au Kazakhstan et ils utilisaient tout un système de poulie pour sortir ce qu’il restait de son corps de l’eau. Alors l’amas de chair reprenait forme et vie à mesure qu’Eugène s’en approchait. Oui, statistiquement, c’était possible, parfaitement possible. Cela valait le coup de faire le voyage pour essayer.
Fanella Ozark
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Lun 1 Nov - 12:43
Avec son trait d’humour, Eugène avait réussi à gagner un petit rire de la part de Fanella et à calmer un peu leurs pleurs à tous les deux. Il voyait bien qu’elle grelotait à cause de leur étreinte alors à contrecœur il recula un peu, pour qu’elle se réchauffe et pour mieux l’observer. Il lui confia avoir douté, hésité entre revenir ou rester et se faire oublier. La jeune femme comprenait bien sûr, mais il ne s’attendait pas à retrouver une pointe de colère en elle.

- Ne dites pas ça, je ne m’en serais pas remise si je ne vous avais pas retrouvé. Et même, toutes les vies ont de la valeur, ici ou ailleurs. Rien de tout ça n’est de votre faute. Vous avez fait, point par point tout ce que je vous dis demandé sans poser de questions. Vous avez été honnête avec moi alors que ça vous a couté. Je suis bien contente d’être débarrassée de Tanner et les autres.

Il retint un petit rire derrière de nouvelles larmes émues de peur qu’elle ne le prenne pour de la moquerie. Elle lui rappelait Joy ; elle aussi s’énervait au quart de tour lorsqu’il se dévalorisait. C’était une mauvaise habitude et elles étaient tenaces chez lui. L’entendre dire que toutes les vies avaient de la valeur lui réchauffa le cœur. Il était heureux de savoir qu’elle pensait ainsi, même s’il n’en avait jamais douté. C’était pour ça qu’il l’appréciait énormément et qu’il pouvait lui faire confiance. Son sourire attendri disparut quelque peu lorsque les souvenirs de Fanella passèrent devant ses yeux. Oh oui elle comprenait. Ils avaient beaucoup en commun, plus qu’elle-même ne le pensait. Et il était assez fier de voir le chemin qu’elle avait parcouru, assez similaire au sien. Evidemment que sa mort aurait été un gâchis. Même la sienne, qu’il pensait avant être sans valeur, en avait été un beau. Il avait passé presque toute sa vie à souhaiter mourir et ce n’était qu’une fois son vœu réalisé qu’il s’était rendu compte de sa valeur. Tout cela lui donnait envie de partager quelques souvenirs avec elle, peut-être un jour lorsqu’ils en auraient le temps.

- Tout ce qui s’est passé, c’est de ma faute. Je n’aurais jamais du recruter un type comme Tanner et croire que ses compétences devaient être prise en compte avant le fait que ses valeurs sont contraires aux miennes. Je n’aurais pas du perdre mon sang froid et vous laisser retourner seul au laboratoire. J’avais tous les éléments en mains pour savoir que la situation allait dégénérer même si je n’imaginais pas que cela irait aussi loin…

Les larmes coulaient à nouveau et à défaut de pouvoir les essuyer, il les fit voleter entre eux deux avant de les laisser retomber. Une larme ne demandait pas beaucoup d’énergie mais il ne valait mieux pas en abuser. Il ne lui en voulait pas d’avoir recruté Tanner et d’avoir eu besoin de se retrouver un peu seule. Ce n’était pas parce que quelqu’un avait des pensées et des valeurs différentes qu’il risquait forcément de passer à l’acte.

- Quelle belle paire de fautistes nous faisons, toujours à culpabiliser pour tout, ironisa-t-il. Vous ne pouviez pas prévoir qu'il réagirait ainsi. Il est responsable de ses actes, de ses pensées, de ses mots, vous n'avez pas à les prendre sur vos épaules. Je suppose que scientifiquement parlant, il restait un bon élément. Je savais pertinemment ce qu'il comptait me faire mais je l'ai tout de même suivi avec l'espoir qu'il se ravise, ou au moins de minimiser les dégâts et je ne voulais pas qu'il sache pour mes capacités...

Eugène avait même hésité à en vouloir à Tanner l’espace d’un instant car il n’aimait pas le ressentiment. Mais il n’avait lu qu’une haine pleine d’ignorance dans son esprit et à partir de là, il ne pouvait pas pardonner ce qu’il lui avait fait. Une partie de lui rêvait d’aller le voir pour lui faire peur mais il savait que les conséquences n’en seraient que désastreuses. Il préférait rester avec Fanella, qui méritait bien davantage sa présence.

- J'aurais perdu mon sang froid aussi si j'avais appris autant que vous en un laps de temps aussi court... Je suis censé être un grand garçon capable de me débrouiller et j'aurais pu me défendre... J'ai choisi de ne pas le faire. Je ne voulais pas manipuler leurs esprits et être considéré comme un monstre, ç'aurait été leur donner raison. Vous avez stoppé Tanner et vous m'avez sauvé... C'est tout ce qui compte à mes yeux, merci.

La discussion qu’il avait eu avec Fanella l’avait peut-être influencé, il ne le niait pas mais ne lui mettait pas non plus la faute dessus. Il était assez grand pour faire la part des choses. Il détestait manipuler les gens peu importe la situation. Il ne l’avait fait que lorsqu’il n’en avait pas le choix ou à la condition que ce soit pour le bien commun. Au moment des décisions qu’il avait prises, il était encore plus ou moins convaincu qu’on ne pouvait faire de mal à un fantôme. Il était de toute façon trop tard pour supposer ce qui se serait passé s’il avait agi différemment. Ce dont il était sûr par contre c’était d’être bien plus attentif et de partir avant de se retrouver piégé si d’autres employés devaient venir poursuivre le travail de Tanner. Savoir que seule Fanella pouvait utiliser le générateur le rassurait déjà énormément mais après tout, les trois scientifiques avaient des pistolets fabriqués à la va vite.

- On ne peut pas revenir en arrière… mais venez… j’ai quelque chose à vous montrer.

Sa curiosité était piquée à vif et il dut se retenir d’aller farfouiller dans son esprit. On lui avait longtemps reproché l’impossibilité de lui faire des surprises. De ce qui se dessinait dans ses pensées, cela semblait être lié avec leur voyage au Kazakhstan et son corps mais il n’était pas certain de comprendre tous les tenants et les aboutissants. Il se redressa, flottant à côté d’elle, prêt à la suivre et à enfin quitter cette fichue salle des commandes.

- Qu’est ce que c’est ? demanda-t-il avec l’espoir qu’elle se mette à y penser avec plus de précision.

Une appréhension le saisit au moment de quitter la pièce malgré tout. Comment allaient réagir les autres membres de l’équipe s’ils les croisaient ? Seraient-ils heureux de le revoir ? Terrifiés ou fâchés après le désordre qui avait suivi sa première apparition ? Il se dit pour se rassurer que tant qu’il était en présence de Fanella, tout devrait bien se passer.
Eugène (The Sorrow)
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Lun 1 Nov - 16:57
Fanella ne supportait pas d’entendre Eugène se reprocher les évènements de sa dernière venue sur terre et encore moins qu’il décrive la possibilité de sa mort comme une bonne chose. Elle l’avait fait savoir avec un peu de colère. Parce qu’elle était passée par là, elle savait ce qu’il pouvait ressentir et qu’il fallait se montrer intraitable avec toutes ces pensées dévalorisantes à propos de soi dans ces moments là. Sinon, elles grandissaient comme un poison. Elle n’était pas mieux cela dit, puisqu’elle expliqua à Eugène en quoi elle estimait qu’au contraire c’était elle qui était responsable de ce qui était arrivé. C’était stricto sensu le cas. C’était son générateur, son invention, son laboratoire, son personnel. Elle devait faire en sorte que rien de mauvais n’arrive.

- Quelle belle paire de fautistes nous faisons, toujours à culpabiliser pour tout,
conclu-t-il avec un petit sourire. Vous ne pouviez pas prévoir qu'il réagirait ainsi. Il est responsable de ses actes, de ses pensées, de ses mots, vous n'avez pas à les prendre sur vos épaules. Je suppose que scientifiquement parlant, il restait un bon élément. Je savais pertinemment ce qu'il comptait me faire mais je l'ai tout de même suivi avec l'espoir qu'il se ravise, ou au moins de minimiser les dégâts et je ne voulais pas qu'il sache pour mes capacités...

Fanella ne su quoi répondre à cela. L’idée qu’il s’était laissé faire pour éviter de paraître suspect ou menaçant rendait la chose pire encore. Oui, au fond il avait raison le seul vrai responsable de tout cela c’était Tanner, responsables de ses actes, ses pensées, ses mots et surtout son esprit étroit qui l’avait fait s’en prendre à une créature innocente qui avait refusé d’utiliser les moyens radicaux qu’elle avait à sa disposition pour se défendre. Elle réalisait à quel point elle avait été stupide de ressentir de la peur ce fameux jour. Oui il avait d’effrayantes capacités à disposition mais de toute évidence, c’était aussi la personne la plus intègre qu’elle connaissait.

- J'aurais perdu mon sang froid aussi si j'avais appris autant que vous en un laps de temps aussi court... Je suis censé être un grand garçon capable de me débrouiller et j'aurais pu me défendre... J'ai choisi de ne pas le faire. Je ne voulais pas manipuler leurs esprits et être considéré comme un monstre, ç'aurait été leur donner raison. Vous avez stoppé Tanner et vous m'avez sauvé... C'est tout ce qui compte à mes yeux, merci.

Il venait de formuler à haute voix ce qu’elle redoutait. Il avait choisi de se laisser faire. Pour prouver qu’il ne voulait pas de mal aux humains autour de lui. Si elle n’avait pas montré tant de crainte peut-être qu’il… Non. Il avait raison. Assez d’autoflagelation. Elle se força à sourire.

- La prochaine fois que quelqu’un essaye de s’en prendre à vous, promettez-moi que vous vous défendrez.

Elle espérait que cela serait une conclusion suffisante. Il était temps de se lever, quitter cette pièce et laisser ce désastreux épisodes derrière eux. L’avenir de son côté avait davantage à offrir que le passé. Elle invita Eugène à la suivre en lui disant qu’elle avait quelque chose à lui montrer. Dans son esprit se dessinaient déjà des images de son corps qu’on sortait de là rivière, loin au Kazakhstan. D’ordinaire, Fanella détestait les voyages à peu près autant que son équipe mais elle avait hâte d’entreprendre celui-ci.

Elle poussa la porte et une fois dans le couloir elle l’invita à la suivre.

- Qu’est ce que c’est ? demanda-t-il avec curiosité.

Fenalla le regarda avec surprise.

- On dirait que j’ai un peu surestimé ce que vous pouvez lire en moi sans chercher, répondit-elle avec un sourire.

Elle voulait vraiment lui faire une surprise alors elle força son esprit à se remplir de calculs compliqués, ceux là même qui l’avaient poussée à cette conclusion si réjouissante mais auxquels probablement il n’entendait rien du tout. Les rétoversions successives, les taux d’inversions, le taux d’ubiquité temporelle, mentalement elle refaisait le cheminement dans sa tête aussi pour vérifier qu’elle ne s’était pas trompée, mais plus elle y pensait, plus tout était limpide.

Une jeune femme les croisa dans les couloirs. Emilia. Elle lui devait la théorie sur les changements d’état.

- Oh Eugène, dit-elle je suis… ravie de vous voir… Vous nous avez fait une sacré peur.

Fanella lui sourit.

- J’ai les derniers chiffres sur l’inversion temporelle Fanella, ils sont sur votre boite mail.

- Merci répondit la chercheuse et Emilia s’éloigna serrant ses dossiers dans ses bras.

Elle poussa la porte de son bureau et invita Eugène à s’assoir, avant de se souvenir que c’était inutile. Puis elle tourna l’écran vers lui. Celui-ci affichait un tableau à deux entrées dont plus de la moitié des cases affichaient en vert des chiffres proches de 100. Séparé en diagonale, l’autre partie du tableau montrait des cases oranges puis rouges puis noires.

- Vous n’y comprenez rien n’est-ce pas ? sourit-elle encore, alors laissez moi vous expliquer. Suite à notre dernier échange, j’ai mis en place toute une série d’études autour des corps des entités que nous avons pu repérer. Il y a de l’activité antimatérielle et des inversions de fronts d’ondes autour d’eux mais plus intéressant encore, ces phénomènes ralentissent le passage du temps autour de ces corps. Les cadavres se dégradent significativement plus lentement lorsque le décès a généré un fantôme. Ce qu’il faut savoir c’est qu’à l’échelle de l’infiniemment petit, le temps n’a plus du tout le même sens qu’à notre échelle. Il dépend des lieux et des mouvements de la matière. Autrement dit, au delà d’un certain degré il est possible de l’inverser. Vous commencez à voir où je veux en venir ?

Ses yeux s’allumaient à mesure qu’elle parlait et que la joie prenait le dessus sur tout le reste.

- Je vous ais dit que vos chiffres étaient beaucoup  plus élevés que ceux des entités classiques. En faisant la proportionnelle, j’ai pu établir qu’en s’approchant assez de votre corps, vous pourriez tout à fait inverser le cours du temps et qu’en même temps, vos ondes s’inverseraient à nouveau et la charge antimatérielle s’inverserait avec la charge matérielle.

Fanella eut du mal à contenir son enthousiasme.

- Autrement dit, pour peu que vous le vouliez, vous pouvez tout à fait réintégrer votre corps et revenir à la vie. Il nous suffit pour cela d’aller le chercher là où il se trouve.
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Lun 1 Nov - 19:18
Il aurait fallu en parler tôt ou tard, de ce qui était arrivé avec Tanner. Des motivations qui avaient poussé Eugène à accepter son sort en quelque sorte. Il venait de se confier et s'en sentait le coeur un peu plus léger. Fanella ne semblait pas lui en vouloir mais était plutôt attristée d'apprendre qu'il s'était laissé faire pour prouver qu'il n'était pas méchant. Ce n'était pas la première fois même si les contextes passés avaient été bien différents de celui ci.

- La prochaine fois que quelqu’un essaye de s’en prendre à vous, promettez-moi que vous vous défendrez.

- Je pensais à tort qu'on ne pouvait pas faire de mal à un fantôme... si cela devait se reproduire, je me défendrai je vous le promets...

Maintenant il pouvait le promettre oui. Il avait compris à ses dépens qu'il ne pouvait raisonner tout le monde et qu'un fantôme était aussi très vulnérable. Cela avait au moins eu le don de le remettre un peu à sa place. Puis ils étaient enfin sortis de la salle du générateur et l'esprit poussa un discret soupir de soulagement de savoir que la machine s'éloignait et avec elle les mauvais souvenirs qu'elle semblait avoir emprisonnés dans son halo bleu et ses vrombissements. Fanella tentait de se concentrer sur quelque chose de plus positif, une surprise, qui piqua quelque peu sa curiosité et il tenta d'en savoir plus.

- On dirait que j’ai un peu surestimé ce que vous pouvez lire en moi sans chercher.

Il voyait bien qu'elle tentait de le duper par de vils calculs alors il se mit à rire. Le pire c'est que ça marchait. Peut-être allait-elle bien réussir à le surprendre, pour la première fois de sa vie.

- J'essaye de ne pas fouiller même si c'est tentant, surtout quand on m'annonce une surprise. Je ne vois donc que vos pensées immédiates, qui étaient jusqu'à présent tournées vers notre future excursion. Et je ne comprends toujours pas grand chose à votre charabia scientifique, vous le faites vraiment exprès.

Si ça avait été quelqu'un d'autre il se serait méfié et aurait sans doute fouillé pour maîtriser l'inconnu qu'on voulait lui cacher, s'assurer de ses intentions mais il avait confiance en Fanella. Elle ne lui ferait pas de mal, jamais. Il avait perçu quelques bribes et en tirait la conclusion que cela devait concerner leur voyage. Allait-elle lui annoncer une date ? C'était excitant et terrifiant à la fois. Dans les couloirs ils croisèrent une jeune femme ce qui brisa sa tentative de décodage de formules mathématiques.

- Oh Eugène, je suis… ravie de vous voir… Vous nous avez fait une sacré peur.

Il se rappela son prénom assez vite, il était facile à lire dans son esprit. C'était une des informations les plus limpides à récupérer.

- Bonjour Emilia, je suis vraiment navré, s'excusa-t-il d'un air contrit. Je me suis fait très peur à moi aussi.

Elle ne semblait pas le détester ou être trop effrayée ce qui acheva de faire taire les dernières braises d'inquiétude qui restaient en lui. C'était plutôt positif si l'on était content ou soulagé de le voir, n'est ce pas ? Elle adressa quelques mots à Fanella et les deux amis reprirent leur route jusqu'à son bureau. Il n'y était encore jamais entré, normal puisqu'ils ne s'étaient foncièrement connus que vingt quatre heures avant qu'on ne se mette à le torturer. Avec sa promesse et l'éviction de Tanner, il devrait réussir à tenir plus longtemps que ça cette fois ci. Il s'installa sur le fauteuil en flottant légèrement au dessus, donnant l'illusion qu'il y était assis et cela lui rappela le premier soir où il avait regardé des reportages sur la conquête spatiale. Elle tourna l'écran de son ordinateur vers lui sans qu'il comprenne rien à ce qui était écrit. C'était décidément plus compliqué que Netflix. Les chiffres et les couleurs se bousculaient dans des tableaux.

- Vous n’y comprenez rien n’est-ce pas ? Alors laissez moi vous expliquer. Suite à notre dernier échange, j’ai mis en place toute une série d’études autour des corps des entités que nous avons pu repérer. Il y a de l’activité antimatérielle et des inversions de fronts d’ondes autour d’eux mais plus intéressant encore, ces phénomènes ralentissent le passage du temps autour de ces corps. Les cadavres se dégradent significativement plus lentement lorsque le décès a généré un fantôme. Ce qu’il faut savoir c’est qu’à l’échelle de l’infiniemment petit, le temps n’a plus du tout le même sens qu’à notre échelle. Il dépend des lieux et des mouvements de la matière. Autrement dit, au delà d’un certain degré il est possible de l’inverser. Vous commencez à voir où je veux en venir ?

Eugène voyait une hypothèse germer dans son esprit mais il n'osait pas la formuler a voix haute tant cela lui semblait improbable. Il la regardait ainsi que le tableau presque hébété, comme un élève en classe qu'on venait d'interroger. Elle avait parlé de temps qui passait plus lentement voire d'inversion. Il n'osait y croire et pourtant c'était ce qui se dessinait dans l'esprit de la jeune femme qui jubilait, irradiant sa joie aussi brillante qu'une étoile.

- Je vous ais dit que vos chiffres étaient beaucoup plus élevés que ceux des entités classiques. En faisant la proportionnelle, j’ai pu établir qu’en s’approchant assez de votre corps, vous pourriez tout à fait inverser le cours du temps et qu’en même temps, vos ondes s’inverseraient à nouveau et la charge antimatérielle s’inverserait avec la charge matérielle. Autrement dit, pour peu que vous le vouliez, vous pouvez tout à fait réintégrer votre corps et revenir à la vie. Il nous suffit pour cela d’aller le chercher là où il se trouve.

Il avait du mal à croire ce qu'il entendait. Après Fanella c'était a son tour de remettre en question les fondements de toute ce qu'il avait appris, de son existence ou de ses pouvoirs. Assez ironiquement elle lui rendait la monnaie sa pièce, sans arrières pensées. Mais pourquoi diable était- il comme ça ? Il n'avait pourtant rien demandé. Alors que l'idée faisait son bout de chemin dans sa tête confuse, il palissait de plus en plus, si tant est que ce soit possible pour un fantôme.

- Inverser le cours du temps ? bredouilla-t-il, décontenancé. M-mais c'est absurde... enfin j'ai fait tout un tas de tests en laboratoire et on ne m'a jamais dit que...

Il se tordit les mains, angoissé à l'idée que de nouveaux pouvoirs puissent lui apparaître comme des boutons d'acné à l'adolescence. Que serait donc le prochain ? La voix de la raison essayait bien de lui dire qu'à l'époque la technologie n'était pas aussi avancée et surtout il n'était pas mort, un état de transcendance qui changeait bien des valeurs fondamentales. Sans oublier qu'il avait refermé un trou noir. Fanella n'avait aucune raison de mentir et alors le fil de ses pensées l'amenaient vers quelque chose de terriblement triste.

- Ce... ce n'est pas une plaisanterie, n'est ce pas ? ça voudrait dire que... j'aurais pu revenir... A l'époque.

Il se décomposa littéralement, se rappelant la colère corrosive d'Alexei, le seul autre russe de sa compagnie venu le rejoindre à la fin de la guerre. Alexei qui l'avait vu partir ce soir là dans la forêt, ne jamais revenir puis réapparaître quelques mois plus tard sous forme de fantôme. Il lui avait hurlé qu'il les avait abandonnés. Qu'il n'avait pas tenu sa promesse de mourir ensemble au combat avec ses frères d'armes. Longtemps il n'avait pas voulu entendre qu'il n'avait pas vraiment eu le choix. C'était lui, ou Joy, ou son fils. La décision était vite prise et le sort scellé.

- J'aurais pu revoir ma femme et mes amis... être là physiquement pour les soutenir dans notre dernière mission, ou serrer mon fils dans mes bras au lieu de le hanter et qu'il me déteste... et à la place...

Il secoua la tête, la mâchoire tremblotante et serrée, la gorge nouée tandis qu'il ravalait ses larmes, incapable de terminer sa phrase. Il lui fallut quelques secondes pour respirer et reprendre ses esprits. Comme pour Tanner on ne pouvait changer le passé et surtout pas un passé aussi lointain. Au final il avait été pardonné. Mais tout de même, s'il avait su... Il avait l'impression de gâcher la joie de l'énorme découverte de Fanella, il devait se reprendre.

- Désolé, je... c'est une sacrée découverte, une bonne nouvelle... Il me faut juste un peu de temps.

Le voulait-il vraiment, ressusciter ? Oui pourquoi pas, à condition d'abandonner une partie de son passé pour éventuellement commencer une nouvelle vie. Il avait fait une pause de plusieurs décennies et le monde avait continué de tourner sans lui. Il était resté tellement en arrière qu'il aurait l'impression de reprendre de 0. Il ne pouvait cacher que l'idée était tentante, il devait juste oublier qu'il aurait pu le faire bien plus tôt.
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Mar 2 Nov - 13:10
Fanella avait peut-être été un peu trop enthousiaste à l’idée de lui annoncer cette nouvelle. De ce qu’elle en comprenait Eugène n’appréciait pas sa vie de fantôme. Elle se souvenait clairement l’avoir entendu dire que s’il pouvait, il mangerait un bon burger même si ça n’était pas une chose très Russe à faire. Pourtant ce qu’elle venait de lui proposer de faire semblait avoir semé un vent de panique dans son esprit. Elle alla s’asseoir près de lui sur l’autre siège en face de son bureau.

- Inverser le cours du temps ? Balbutia-t-il. M-mais c'est absurde... enfin j'ai fait tout un tas de tests en laboratoire et on ne m'a jamais dit que...

Fanella se demanda s’il ne l’avait pas mal comprise. Elle aurait sans doute du prendre plus de temps et de précaution pour expliquer tout cela. Pour elle il s’agissait de faits scientifiques particulièrement intéressant, aussi de la possibilité de rendre à la vie à un être humain qui était mort dans des circonstances injustes. Pour Eugène, il s’agissait de sa vie, son histoire, son corps.

- Qu’on soit d’accord, ce n’est pas vous, à proprement parler qui influencez le cours du temps. C’est plus un effet secondaire d’activité autour de votre corps, qui est maintenue par votre présence dans l’entre deux. C’est la même chose pour tous les fantômes, c’est d’ailleurs comme ça que nous repéré ce phénomène. Aussi, la plupart des capteurs qui permettent de détecter tout cela ont été inventé ici-même par mon équipe. A votre époque, personne n’avait les moyens de comprendre tout cela et ceux qui étudiaient la physique quantique passaient pour des illuminés.

Tout cela ne sembla pas vraiment rassurer complètement Eugène qui se tordait les mains sous l’effet de l’angoisse. Elle avait du mal à comprendre. Après tout, il n’était obligé à rien. Peut-être avait-il malheureusement prit cette habitude d’être forcé dans des tests dont il ne voulait pas.

- Ce... ce n'est pas une plaisanterie, n'est ce pas ? ça voudrait dire que... j'aurais pu revenir... A l'époque.

Elle s’était un peu trop avancée. Déjà il lui fallait visiblement le temps de réaliser les implications de ce qu’elle venait de dire. Elle n’avait pas pensé à ça. Pour lui, cela voulait dire qu’il avait passé tout ce temps seul dans l’entre deux, pour rien.

- Je ne sais pas Eugène, ça n’est pas si simple.

Perdu dans des souvenirs qu’elle ne comprenait pas il ne l’écoutait pas vraiment. A ce moment là, elle aurait voulu pouvoir lire ses pensées pour savoir qu’est ce qui déclenchait ces vives émotions qu’elle voyait passer sur son visage qui devenait plus pâle encore si c’était seulement possible.

- J'aurais pu revoir ma femme et mes amis... coupa-t-il, être là physiquement pour les soutenir dans notre dernière mission, ou serrer mon fils dans mes bras au lieu de le hanter et qu'il me déteste... et à la place...

Elle comprenait mieux. Oui il avait choisi de partir en quelques sortes. Fanella ignorait qu’il avait un fils. Pourquoi l’avait-il détesté ? Pour avoir essayé de sauver sa mère ? Ce n’était pas sa place de juger après tout, elle ne savait presque rien de toute cette désastreuse situation.

- Il y a autre chose que je vous ais pas expliqué en détail, reprit Fanella dans l’espoir de le faire un peu relativiser. Je vous ais dit que ce n’est possible, que si vous le voulez. C’est ce qu’on appelle la théorie performative qui veut ça. En temps que fantôme vous êtes un être de pure volonté. Il faut de cette volonté pour que le processus fonctionne, mais c’est une chose complexe parce que nous les êtres humains sommes tous très ambivalents. Est-ce que à ce moment là, juste après avoir choisi de mourir pour sauver votre épouse, vous auriez pu choisir de revenir, tout en sachant que cela la mettrait peut-être elle et votre famille en danger ? Après, il se peut que vous ayez été triste, ou déprimé, d’autant plus si votre fils était en colère après vous. Ce genre de sentiments auraient très bien pu entraver toute possibilité de retour à ce moment là. Et puis surtout, vous n'aviez aucune idée qu'une telle chose était seulement possible.

Elle essaya de capter son regard du mieux qu’elle put.

- Et puis, nous n’étions pas sensés essayer d’arrêter de nous faire des reproches à nous-mêmes, vous et moi ?

Elle vit son effort manifeste pour se reprendre.

- Désolé, je... c'est une sacrée découverte, une bonne nouvelle... Il me faut juste un peu de temps.


Fanella posa une main sur son épaule, ce qui équivalait à tenir entre ses doigts une bouteille d’eau sortie du congélateur.

- Oui… du temps vous en avez ne vous en faites pas. Nous ne tenterons rien sans votre accord de toute façon et vous pouvez vous raviser à tout moment. Je n’ai pas bien mesuré toutes les implications que cela risquait d’avoir pour vous….


Elle avait été maladroite, mais il fallait se tenir à ce qu’ils avaient dit  : ne plus se reprocher des choses à longueur de temps.
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Mar 2 Nov - 17:42
Eugène naviguait entre ses souvenirs pleins de culpabilité et les explications logiques de Fanella qui tentait de lui dire que remonter le cours du temps était en réalité un effet secondaire propre à tous les fantômes et ne faisait pas partie de ses capacités. Sans compter que les moyens scientifiques de l’époque ne lui auraient jamais permis de posséder cette information. C’était simplement à cause de ses pouvoirs hors du commun qu’ils pouvaient aujourd’hui faire une tentative capable de se solder par une réussite. Il se serait frappé le front pour avoir laissé la panique lui ôter tout discernement. La fatigue, la douleur et les émotions de son retour ne l’aidaient pas vraiment non plus à garder les idées claires. Il avait juste besoin de souffler un bon coup et de laisser échapper certaines choses, certains souvenirs qu’il trainait comme un boulet de métal à la cheville depuis des années.

Et elle aurait voulu voir ses souvenirs, les lire dans son esprit pour comprendre. Il ne savait pas s’il avait le courage de lui montrer ce qui pouvait bien lui passer par la tête. Certains étaient affreux. Et en même temps, cela pouvait peut-être lui faire du bien ? Qu’elle puisse les voir comme il voyait les siens. Il avait commencé par tenter de lui expliquer par des mots mais là encore ils ne faisaient aucun honneur à la réalité de son vécu. Fanella tentait de comprendre avec les bribes d’informations qu’il lui avait déjà transmises.

- Il y a autre chose que je ne vous ais pas expliqué en détail. Je vous ais dit que ce n’est possible, que si vous le voulez. C’est ce qu’on appelle la théorie performative qui veut ça. En temps que fantôme vous êtes un être de pure volonté. Il faut de cette volonté pour que le processus fonctionne, mais c’est une chose complexe parce que nous les êtres humains sommes tous très ambivalents. Est-ce que à ce moment là, juste après avoir choisi de mourir pour sauver votre épouse, vous auriez pu choisir de revenir, tout en sachant que cela la mettrait peut-être elle et votre famille en danger ? Après, il se peut que vous ayez été triste, ou déprimé, d’autant plus si votre fils était en colère après vous. Ce genre de sentiments auraient très bien pu entraver toute possibilité de retour à ce moment là. Et puis surtout, vous n'aviez aucune idée qu'une telle chose était seulement possible. Et puis, nous n’étions pas sensés essayer d’arrêter de nous faire des reproches à nous-mêmes, vous et moi ?

Eugène ferma les yeux l’espace d’un instant, se concentrant sur les pensées et les mots de la jeune femme comme s’il voulait les faires siennes. Elle l’aidait énormément à relativiser. Il fallait peut-être qu’il termine de faire le deuil de tout ce qu’il lui était arrivé pour avancer car il se rendait compte que malgré les années, cela l’alourdissait toujours plus. Comme Fanella tentait de croiser son regard, il tourna la tête vers elle, accablé mais reconnaissant.

- Je pense que vous avez raison oui… Je n’en aurais pas été capable. Ma vie n’était qu’un enfer à cette époque, je n’attendais que de mourir. Je ne voyais pas d’autre possibilité et ne pensait pas à l’idée de revenir. Je n’avais aucun regret, c’était une libération. C’est un peu vous qui m’avez redonné goût à la vie, en réalité.

Il voulut tout de même se rattraper un peu, lui exprimer que la nouvelle était incroyable et qu’elle lui apportait beaucoup d’espoir au-delà de la souffrance. L’esprit de cette jeune femme était tellement brillant, elle méritait que ses recherches soient reconnues à leur juste valeur. Il sentit sa main venir se poser sur son épaule translucide et profita du doux contact même s’il devait, de son côté, lui être désagréable.

- Oui… du temps vous en avez ne vous en faites pas. Nous ne tenterons rien sans votre accord de toute façon et vous pouvez vous raviser à tout moment. Je n’ai pas bien mesuré toutes les implications que cela risquait d’avoir pour vous…

Comment aurait-elle pu les mesurer ? Ils avaient tous deux l’impression de se connaître déjà depuis longtemps et pourtant ils n’avaient passés qu’une poignée d’heures ensemble. Il n’avait pas vraiment eu le temps de partager son passé. C’était peut-être le moment de l’aider à y voir plus clair.

- J’aurais aimé vous donner plus de détails plus tôt pour que vous compreniez mais il s’est passé tellement de choses dans ma vie… Encore maintenant je ne saurais pas bien comment résumer tout ça avec des mots sans que ce soit horriblement confus, ce serait plus facile si je pouvais vous les partager. Sinon eh bien je tâcherai d'essayer.

Il ne voulait pas lui imposer s’il avait suffisamment de contrôle sur lui-même pour l’éviter. La dernière fois, la situation était un peu plus tendue et il l’avait proposé pour qu’ils soient quittes, d’une certaine manière, si cela pouvait apaiser l’esprit de Fanella. Aujourd’hui c’était différent parce qu’il sentait le besoin de se confier. Que ce soit oralement ou par des pensées conjointes. La différence résidait dans le niveau de détails entre une explication verbale et les souvenirs ancrés dans sa mémoire.
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Dim 7 Nov - 19:06
De toute évidence, Fanella n’avait pas mesurer toutes les implications que la nouvelle aurait sur Eugène. Il pouvait réintégrer son corps oui mais il ne pouvait rattraper les erreurs du passé, ni le temps perdu avec ses proches ou frères d’armes.  La jeune chercheuse lui avait expliqué que tout n’était pas si simple et que même si cela était très certainement possible à présent, il était improbable que l’opération est réussi à l’époque, notamment à cause du fait qu’à ce moment là, il venait juste de choisir de mourir. Ors pour revenir, théorie performative obligeait, il fallait au contraire le vouloir.

- Je pense que vous avez raison oui… Je n’en aurais pas été capable. Ma vie n’était qu’un enfer à cette époque, je n’attendais que de mourir. Je ne voyais pas d’autre possibilité et ne pensait pas à l’idée de revenir. Je n’avais aucun regret, c’était une libération. C’est un peu vous qui m’avez redonné goût à la vie, en réalité.

Fanella rougit brusquement et retient à grand peine un espèce de rire nerveux. Ce que venait de dire Eugène la touchait évidemment, mais elle voyait mal en quoi elle avait pu contribuer à donner à quelqu’un l’envie de vivre. Elle avait au contraire le sentiment d’avoir accumulé les erreurs. A présent cependant les choses se profilaient sous un jour plus encourageant alors elle s’accrocha à cette idée. En tout cas, son hypothèse se confirmait. Si Eugène considérait la mort comme une libération il n’y avait aucune chance qu’il ait pu réintégrer son corps à ce moment-là. Elle n’osait pas vraiment imaginer tout ce part quoi il avait pu passer pour en arriver à souhaiter disparaître.

En tout cas elle le rassura sur le fait qu’il ne serait obligé à rien, même à présent et que leur voyage ne débuterait pas dans l’immédiat. L’équipe n’était pas prête et elle-même avait encore besoin d’y réfléchir pour être sûre que tout serait prêt et que chacun serait en sécurité.

- J’aurais aimé vous donner plus de détails plus tôt pour que vous compreniez mais il s’est passé tellement de choses dans ma vie… Encore maintenant je ne saurais pas bien comment résumer tout ça avec des mots sans que ce soit horriblement confus, ce serait plus facile si je pouvais vous les partager. Sinon eh bien je tâcherai d'essayer.

Cette proposition déstabilisa quelque peu Fanella. Evidemment elle voulait tout savoir d’Eugène, tout ce qu’il voudrait bien lui dire en tout cas et puis, dans tous les cas, il ne pourrait surement revenir vivre par eux sans avoir pu raconter comment il avait perdu le goût de vivre. Dans tous les cas à ses yeux ils étaient amis mais cela amenait leur relation à un autre niveau. Elle n’avait jamais été aussi proche de quelqu’un même sa mère ne comptait pas vraiment et cela lui faisait tout drôle de s’apercevoir à quel point Eugène lui accordait de l’importance.

En même temps, elle avait peur. Les mots qu’il employait pour parler de ce qu’il voulait lui faire étaient si légers. « Partager » des souvenirs. Fanella se demanda quel genre d’effets secondaires cela pouvait avoir et jusqu’à quel point elle allait faire cette expérience nécessairement douloureuse de passer, en quelques sortes, par ce par quoi il était passé.

Mais assez rapidement heureusement cette fois, son esprit vif fut capable de trouver un compromis. Alors elle lui sourit, et retira sa main de son épaule, avant de de plus sentir ses doigts.

- Je suis…honorée que vous me fassiez cette proposition. Seulement je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée, ici, et maintenant.

Elle regarda sa montre.

- Il y a une réunion dans une dizaines de minutes. Je voudrais y annoncer la bonne nouvelle de votre retour et commencer à discuter du voyage. Vous pouvez venir avec moi, si vous voulez je pense que tout le monde sera content de vous voir. Sinon vous pouvez rester caché mais j’avoue que je ne suis pas tranquille de tout à l’idée de vous laisser seul à cause de…

Fanella ne termina pas sa phrase parce que tout à coup, les images du visage déformé d’Eugène se bousculèrent dans sa tête. Cela fut d’autant plus difficile qu’il les voyait sûrement aussi. Elle se reprit aussi rapidement qu’elle le put.

- Après nous pourrions aller chez moi, nous y serions tranquilles et alors vous pourrez partager avec moi vos souvenirs… qu’est ce que vous en pensez ?
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Dim 7 Nov - 20:13
Eugène avait avoué à Fanella qu’elle lui avait redonné gout à la vie, ce qui était un exploit assez surprenant pour être évoqué à voix haute. Elle semblait avoir du mal à y croire, préférant laisser son esprit voguer vers ce qui lui semblait être des échecs. Il n’en était rien aux yeux du fantôme et si des mots ne suffisaient pas à le lui prouver, les actes et le temps le feraient peut-être. Il n’en demeurait pas moins sincère et apaisé par les paroles de la jeune femme qui avaient eu raison de ses pensées négatives qui voulaient lui faire voir le monde et ses actions passées en noir et blanc, occultant toutes ses nuances. Alors il lui avait proposé une vision plus globale de certains moments de sa vie qui pourraient aider son amie à comprendre sa situation et les émotions qui en découlaient, plutôt qu’une simple histoire en deux dimensions où passeraient à la trappe bon nombre de détails qu’il jugeait pourtant trop importants.

- Je suis…honorée que vous me fassiez cette proposition. Seulement je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée, ici, et maintenant.

Cet instant figé qui lui avait fait brasser tant d’émotions lui avait fait peu à peu oublier où il était, dans le laboratoire, et à quel point se plonger dans les souvenirs d’un autre pouvait être inhabituel. Déjà Fanella se posait bon nombre de questions et la peur de l’inconnu s’infiltrait en elle. Ce qui était normal. Il se serait lui aussi méfié. Elle ne refusait pas mais il y avait bien évidemment des choses plus urgentes à faire, qui se rappelèrent à leurs deux esprits lorsqu’elle regarda sa montre.

- Il y a une réunion dans une dizaines de minutes. Je voudrais y annoncer la bonne nouvelle de votre retour et commencer à discuter du voyage. Vous pouvez venir avec moi, si vous voulez je pense que tout le monde sera content de vous voir. Sinon vous pouvez rester caché mais j’avoue que je ne suis pas tranquille de tout à l’idée de vous laisser seul à cause de…

- N-non je viens avec vous, dit-il assez précipitemment. Je ne veux pas rester tout seul ici.

La morsure glacée des souvenirs sembla l’électriser et il trembla l’espace d’un instant. Ses pauvres particules de fantôme n’étaient toujours pas remises et le visage et les pensées de Tanner s’imposèrent à lui. Il ferma fort les yeux pour tenter de les chasser, assez pour que deux larmes perlent à leur commissure. Comme un fouet claquant, la sensation insupportable disparut aussi vite qu’elle était arrivée mais laissait une brûlure derrière elle que son esprit avait du mal à dissiper.

- Après nous pourrions aller chez moi, nous y serions tranquilles et alors vous pourrez partager avec moi vos souvenirs… qu’est ce que vous en pensez ?

Elle avait fait au plus vite pour chasser ce sombre moment de ses pensées et revenait un peu en arrière, comme s’il ne s’était rien passé. Ce qui arrangeait plutôt Eugène. Il n’allait pas refuser cette proposition et était plutôt d’accord avec elle. Après tout, ils auraient pu se faire surprendre n’importe quand dans ce bureau, dans un moment qui risquait de les mettre en position de faiblesse. Chez elle, c’était plus sûr. Ils seraient plus posés.

- C’est mieux oui… nous ne serons pas dérangés chez vous. Ne vous inquiétez pas trop, vous ne vous retrouverez pas en moi, vous pourrez voir mes souvenirs d’un œil extérieur, sans réellement partager mes pensées ou mon ressenti de l’époque. Et si quelque chose vous incommode, vous pourrez me dire d’arrêter à tout moment.

C’était comme s’il ouvrait les rideaux de la fenêtre qui bloquaient l’accès à sa bibliothèque personnelle. Il ne la laissait pas vraiment entrer pour s’imprégner de l’atmosphère de la pièce mais elle pouvait à travers la fenêtre observer de plus près les vieux livres poussiéreux de ses souvenirs, comme un rat de bibliothèque dévorait les romans les uns après les autres. Seule l’expérience de les voir pouvait la troubler mais il ne laisserait en rien son esprit croire qu’ils étaient siens. Eugène inspira longuement pour focaliser son esprit pour synthétiser un résumé de ce qui lui semblait important.

- Je vais quand même tenter de vous résumer quelques petites choses, je ne voudrais pas vous laisser dans le flou. A l’époque, ma femme a fait un déni de grossesse alors qu’elle était en mission d’infiltration en Allemagne, préparant le débarquement. Elle n’est revenue que quelques jours avant celui-ci et c’est là que je me suis rendu compte de ce qui lui arrivait. Bien entendu, il était trop tard pour reculer et elle a mené les Alliés à la bataille enceinte jusqu’au cou… Elle a été blessée par un tir ennemi et à du être opérée en urgence. Et c’est là que… mes supérieurs, les généraux de guerre, l’ex CIA qui nous avaient entraînés… ont pris mon fils. J’ai été renvoyé en Russie sans pouvoir le voir, ni Joy, ni mes amis. Ils a dès lors servi de moyen de pression pour me faire commettre des atrocités. Si je refusais, on menaçait de le tuer. C’est d’ailleurs cela qui nous a pour ainsi dire poussé à nous entretuer, ma femme et moi, même si j’ai choisi de me sacrifier.

Il s’autorisa un moment de silence pour ravaler avec peine tout ce qu’il venait de dire et qui lui restaient toujours sur le cœur. Pour se consoler, il se disait que cela irait mieux lorsqu’elle aurait vu ce qu’il omettait de lui dire, même si c’était horrible.

- Et mon fils, Adamska… Il n’a jamais su que j’étais son père. Du moins, jusqu’à ce que Joy le retrouve deux ans après ma mort et lui explique tout. Je n’aurais pas du dire qu’il me détestait, disons plutôt qu’il avait peur… Il n’a jamais accepté que je sois son père car il ne voulait pas de mon don. Il pensait que s’il finissait par y croire, il verrait lui aussi les fantômes, se retrouverait lui aussi parasité par les pensées des autres et cela n’était pas une vie pour lui. A l’époque, ce n’était pas une vie pour moi non plus. Je ne peux pas lui en vouloir.

Oh parfois, lorsqu’il apparaissait derrière lui dans un miroir, Adamska avait déjà perdu son sang froid et tenté de lui jeter des objets au visage en lui hurlant de disparaitre. La plupart du temps Eugène qui ne voulait pas l’incommoder ne se laissait pas voir non plus, veillant sur lui comme un vrai fantôme invisible. Il ne lui avait jamais tenu aucune rancune. Il avait juste voulu se rattraper d’avoir été un père absent, voire inexistant.

- J’ai passé beaucoup de détails mais je sais que le temps nous manque alors allons à cette réunion et nous aviserons ensuite, proposa-t-il finalement.

Et lorsque Fanella quitta sa chaise, il fit de même, flottant à ses côtés partout où elle voulait bien de sa présence. Une chose était sûre cependant, il ne resterait plus seul au laboratoire. S’il le fallait, il resterait seul dehors bien caché de la vue de tous.
Eugène (The Sorrow)
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Dim 14 Nov - 16:11
La proposition d’Eugène avait troublé Fanella. Mais surtout elle était touchée. Cependant, elle avait refusé de se livrer à l’expérience qu’il lui offrait ici, dans son bureau dont la porte pouvait être ouverte à tout moment. Elle s’était demandé si cela se rapprochait par exemple, de l’effet que pouvait faire par exemple certaines drogues dures. Mais Eugène la rassura sur ce point :

- C’est mieux oui… nous ne serons pas dérangés chez vous. Ne vous inquiétez pas trop, vous ne vous retrouverez pas en moi, vous pourrez voir mes souvenirs d’un œil extérieur, sans réellement partager mes pensées ou mon ressenti de l’époque. Et si quelque chose vous incommode, vous pourrez me dire d’arrêter à tout moment.


La jeune chercheuse se sentit un peu rassurée par ces explications complémentaires, mais cependant, elle maintenait sa position, elle préférait que cela se passe chez elle. Peut-être même emmènerait-elle quelques capteurs. Après tout, un tel phénomène méritait d’être étudié, comme tout ce qui concernait Eugène. Cependant, elle voyait à l’expression de son visage qu’il avait besoin de lui parler un peu de son histoire malgré tout et des raisons qui l’avaient poussé à renoncer à la vie.


- Je vais quand même tenter de vous résumer quelques petites choses, je ne voudrais pas vous laisser dans le flou. A l’époque, ma femme a fait un déni de grossesse alors qu’elle était en mission d’infiltration en Allemagne, préparant le débarquement.

La seule mention d’un déni de grossesse suffisait à effrayer Fanella qui espérait qu’une telle chose ne lui arriverait jamais. Mais elle sentait bien que ce n’était là que le début des difficultés qu’Eugène s’apprêtait à lui raconter. Leur baromètre de l’horreur n’était de toute évidence pas le même.

- Elle n’est revenue que quelques jours avant celui-ci et c’est là que je me suis rendu compte de ce qui lui arrivait. Bien entendu, il était trop tard pour reculer et elle a mené les Alliés à la bataille enceinte jusqu’au cou… Elle a été blessée par un tir ennemi et à du être opérée en urgence. Et c’est là que… mes supérieurs, les généraux de guerre, l’ex CIA qui nous avaient entraînés… ont pris mon fils.


La jeune femme ressentait un mélange douloureux de tristesse et de colère. Elle résolu de ne plus faire confiance à la CIA à l’avenir et qu’elle avait bien fait de leur mentir. Ils voulaient passer pour des gentils mais peut-être qu’à présent, ils seraient toujours capable d’employer de telles méthodes s’ils l’estimaient nécessaire. Si Eugène revenait à la vie, il faudrait faire une priorité de trouver un moyen de cacher son existence aux yeux du monde.

- J’ai été renvoyé en Russie sans pouvoir le voir, ni Joy, ni mes amis. Ils a dès lors servi de moyen de pression pour me faire commettre des atrocités. Si je refusais, on menaçait de le tuer. C’est d’ailleurs cela qui nous a pour ainsi dire poussé à nous entretuer, ma femme et moi, même si j’ai choisi de me sacrifier.


Fanella repensa à Jesse et sa mission de « protéger les États Unis d’Amérique ». Qu’est ce que cela voulait encore dire, lorsqu’on fait de telles choses ? Elle se consola avec l’idée que les pratiques n’étaient peut-être pas les mêmes dans tous les pays et que nous n’étions plus en guerre. Elle baissa les yeux, parce qu’elle ne voulait pas qu’il y lise l’intensité de sa tristesse. Après, elle se souvint que de toute façon, il avait accès à la moindre de ses émotions. Une partie d’elle frissona en se demandant quel genre d’atrocités il avait pu commettre. De toute évidence, il en avait malheureusement les moyens.

- C’est terrible, dit-elle la voix un peu tremblante. Je comprends beaucoup de choses, mais je ne comprendrais jamais comment les êtres humains peuvent se faire autant de mal entre eux.

Il marqua un silence, pour se reprendre et Fanella songea que si ce récit la touchait trop, il se pourrait bien qu’ils soient pris dans « larsen » émotionnel comme la dernière fois, alors elle se força à garder son calme, même si cela était difficile.

- Et mon fils, Adamska… reprit-il. Il n’a jamais su que j’étais son père. Du moins, jusqu’à ce que Joy le retrouve deux ans après ma mort et lui explique tout. Je n’aurais pas du dire qu’il me détestait, disons plutôt qu’il avait peur… Il n’a jamais accepté que je sois son père car il ne voulait pas de mon don. Il pensait que s’il finissait par y croire, il verrait lui aussi les fantômes, se retrouverait lui aussi parasité par les pensées des autres et cela n’était pas une vie pour lui. A l’époque, ce n’était pas une vie pour moi non plus. Je ne peux pas lui en vouloir.

La théorie se tenait. Si Adamska s’était mis à croire qu’il avait lui aussi le don de son père, alors il n’était pas à l’abri d’effets performatifs. Qui songeait si cela était une vie ou non pour Eugène ?  Son fils, y avait-il songé ? De tout évidence ça n’était pas son don qui lui avait posé le plus problème, aujourd’hui il avait l’intention de s’en servir pour s’exprimer. Le plus dur, c’était la manière dont le reste de l’humanité, y compris son propre fils le regardait. Fanella se demanda ce que cela pouvait faire de se sentir différent à ce point et pria pour ne jamais vraiment le découvrir. Elle se consola avec l’idée qu’après tout, il avait eu une femme, même s’ils avaient été séparés dans des circonstances tragiques et qu’elle avait été contrainte de le tuer.

- J’ai passé beaucoup de détails mais je sais que le temps nous manque alors allons à cette réunion et nous aviserons ensuite,
proposa-t-il finalement.

De cette dernière phrase, il balaya tout ce qu’il venait de dire. Fanella se reprit maladroitement.

- Oui, vous avez raison, dit-elle.

Après cela, elle ne sut tout simplement pas quoi ajouter. Elle voulait dire un mot gentil, avoir une parole rassurante, mais tout lui sembla absolument dérisoire. Elle se contenta alors de marquer une pause, espérant qu’il pourrait lire toute l’empathie que cette histoire lui avait inspirée.

Après cela, elle accompagna Eugène à la réunion. Le comité était beaucoup plus restreint que la dernière fois. Elle l’autorisa à se montrer puisque dans tous les cas toutes les personnes présentes accompagneraient le voyage jusqu’au Kazakhstan.  Toutes les personnes présentent l’applaudirent, pour avoir réussi à revenir et surtout pour avoir refermé le trou noir. Diverses considérations se discutèrent. L’avancée de la réduction des appareils de mesure était difficile et l’équipe demandait des moyens supplémentaires. L’idée fut émises que la présence d’une équipe médicale ne serait peut-être pas de trop, étant donné ce qu’ils allaient tenter de faire. Enfin on évoqua la question de la CIA et le fait que peut-être on pourrait mettre au courant quelques membres de la sécurité, histoire de vérifier que personne ne suivrait l’expédition. Pour les mêmes raisons, le convoi serait divisé en plusieurs morceaux jusqu’à ce qu’il atteigne la zone la plus difficile d’accès.

A la sortie, Fanella était assez contente. L’ambiance était bien meilleure lorsque tout le monde était d’accord sur les hypothèses de travail et les objectifs. Jonathan essaya de l’interpeler à la sortie de la rencontre.  Sans qu’elle sache pourquoi, il semblait d’une humeur assez sombre, qu’elle attribua au fait qu’il allait devoir laisser sa famille pour peut-être quelques semaines.

— Tu t’en vas déjà ? demanda-t-il à Fanella avant qu’elle ne quitte son bureau.

— Oui je rentre chez moi, dit-elle, après tout je suis toujours en congé. Le temps de passer chercher un peu de matériel…

— Tu as une drôle de vision des congés… Tu emmène Eugène avec toi ?

Fanella se tourna vers le fantôme avec un sourire.

— Oui je veux faire quelques tests… expliqua-t-elle un brin mal à l’aise.

— Tu devrais faire tes tests au labo Fanella, répliqua Jonathan d’un ton un peu froid.

— Je ne veux pas être dérangée, répondit-elle.

Jonathan baissa les yeux.

— C’est toi le chef…


Il s’eclipsa et Eugène put sentir une vague de colère noire émaner de lui. Fanella, elle, ne s’aperçu de rien.  Elle sourit à Eugène de nouveau.

— Bon je vais chercher quelques petites choses et on va pouvoir y aller.

Une grosse demi-heure plus tard, Fanella posait enfin les deux sacs noirs très lourds qu’elle avait trainés dans les transports en commun, sur le sol gris de son appartement. L’ensemble ressemblait à un lieu témoin dans un magasin de meuble. Tout était impeccablement rangé, rien ne dépassait, tout était gris noir ou blanc, décoré avec goût mais sans personnalité.

Elle poussa du pieds les deux gros sacs jusqu’à la chambre.

— On va se mettre là, expliqua-t-elle, comme ça je serais allongée ça sera plus sur.

Elle ouvrit les fermetures et quelques minutes plus tard, le lit avait l’air d’être la cible étonnée d’une dizaines de paparazzi. Posés sur des trépieds, tournés vers le matelas, des appareils aux formes étranges émettaient des petits bips bips réguliers.

— Ne vous faites pas, ce sont juste des capteurs. Quitte à faire ce que vous me proposez, j’aime autant pouvoir l’observer aussi depuis l’extérieur…
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Dim 14 Nov - 20:29
Eugène était bien évidemment d’accord de reporter le partage de souvenirs qu’il proposait à plus tard, après la réunion. Il n’allait pas non plus refuser à Fanella de les installer dans un endroit où ils ne seraient pas dérangés. Ce n’était pas contre elle mais même s’il n’était plus dans la salle du générateur, un certain sentiment d’insécurité planait toujours dans un coin de sa tête entre ses murs. Bien entendu, si la jeune femme voulait emmener des capteurs pour tenter de mesurer le phénomène, il la laisserait faire, curieux de savoir si elle obtiendrait des résultats lui aussi. Le fantôme s’était tout de même senti le besoin de lui résumer une partie de sa vie avant qu’ils ne partent pour la réunion, pour tenter d’apaiser certaines de ses questions même si le sujet allait forcément en amener d’autres.

Lorsqu’il évoqua la CIA, il se rendit assez vite compte que l’agence était venue fouiner dans le laboratoire assez récemment. Le contraire l’aurait surpris. Fanella ne semblait avoir rien révélé de son identité et la mèche n’avait pas du être vendue ailleurs par quelqu’un d’autre, autrement ils seraient déjà là. Cela ne le fit donc pas vraiment paniquer. Il n’avait plus peur d’eux, maintenant qu’ils n’avaient plus de moyens de pression pour l’obliger à faire quoi que ce soit. Mais, s’il devait revenir à la vie, la jeune femme avait raison ; il allait falloir trouver comment rester discret. Il essayait de ne pas trop penser au fait que si l’expérience réussissait, il allait se retrouver sans papiers et sans argent dans un nouveau monde. Après tout, il fallait déjà qu’il puisse revenir, justement et cette étape de l’avenir semblait déjà trop incertaine pour se projeter plus avant.

Il aurait voulu lui dire que les agents du passé n’étaient pas ceux du présent et qu’il était injuste de leur mettre sur le dos des actes dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence mais après ce qu’il avait vécu, il ne pouvait être lui-même qu’incité à la plus grande prudence. Les pions agissaient sans savoir ce que pensait la main qui les plaçait. Même sans penser à mal, ils pouvaient participer à quelque chose de plus grand et de plus horrible.

— C’est terrible. Je comprends beaucoup de choses, mais je ne comprendrais jamais comment les êtres humains peuvent se faire autant de mal entre eux.

Sa voix tremblait et il posa sur elle un regard compatissant. Elle se demandait ce qu’il avait pu commettre comme atrocités et il était malheureusement résolu à les lui montrer. Sans trop insister pour ne pas rendre la chose intolérable et parce qu’il en avait toujours honte. Maus après tout, il avait promis d’être honnête avec elle et comptait bien tenir cette promesse.

— Je ne l’ai jamais compris non plus… Ou je n’ai pas voulu comprendre les raisons qu’ils donnaient. La peur, la vengeance ou l’envie de pouvoir ne sont pas des excuses et ne justifient pas les guerres ou de s’en prendre à quelqu’un d’autre.

Fanella s’inquiétait aussi que leurs émotions conjointes ne les mènent à la même situation que la dernière fois sur la passerelle. Ils allaient sans doute devoir faire un effort tous les deux pour que ça n’arrive pas mais Eugène avait l’impression que cela serait peut-être plus facile. Montrer ses souvenirs était une situation qu’il maîtrisait ; il avait eu le temps de les voir et de les revoir, de s’y perdre, de s’y faire, là où ce premier ‘’larsen’’ l’avait quelque peu pris au dépourvu lorsqu’il s’était laissé piéger à l’intérieur. Elle avait touché à ce moment à ce qu’il y avait de plus dur à supporter pour lui, être considéré comme un monstre. Alors il voulut tenter de la rassurer.

— A l’époque, toute cette pression devenait intolérable mais avec les années… je me suis autorisé à guérir et en parler ne peut qu’être la suite logique du processus. Alors je voulais vous remercier d’avoir le courage de m’écouter. Je pense que… ça va bien se passer.

Il lui proposa d’aller à la réunion pour mieux continuer à brasser des émotions ensuite. Tandis qu’il luttait contre l’anxiété de se retrouver devant une assemblée de scientifiques une nouvelle fois, Fanella semblait chercher quelque chose à dire pour le rassurer. Si leurs places avaient été inversées, il n’aurait peut-être pas trouvé les mots lui non plus. Il voyait que son vague résumé la touchait malgré tout et qu’elle voulait veiller à son bien-être, tenter de le réconforter. Il lui sourit un peu plus car il ne lui en fallait pas davantage pour réchauffer son esprit.

— Ne vous en faites pas, ce n’est pas grave si vous ne trouvez pas quoi dire… certaines choses se passent de mots et votre cœur parle suffisamment pour vous. Ça me touche beaucoup.

Lorsque la réunion commença, Eugène nota avec soulagement qu’il y avait moins de monde. Ils semblaient tous contents et soulagés de le revoir allant même jusqu’à l’applaudir. Cela le gêna au plus haut point, surtout compte tenu des circonstances ayant mené à la fermeture du trou noir mais il fit de son mieux pour ne rien laisser paraître, ne voulant vexer personne. Il écouta attentivement les préparatifs du voyage qui se présentait et qui semblaient bien avancer. Il espérait que tout se passerait bien et l’idée d’une équipe de sécurité dont l’objectif serait de s’assurer qu’ils ne soient pas suivis lui apparaissait comme une bonne idée. Au final, tout s’était relativement bien passé et la peur qu’il avait pu causer lors de sa première réunion semblait s’être dissipée.

Lorsqu’il sortit de la salle avec Fanella, Jonathan les rattrapa. Dans d’autres circonstances, Eugène aurait été heureux de le voir et de discuter mais quelque chose semblait le déranger voire le mettre en colère. Comme il n’arrivait pas vraiment à savoir pourquoi au premier abord, il choisit de se faire discret derrière son amie tandis qu’elle expliquait qu’ils allaient faire quelques tests chez elle. Cela ne sembla pas plaire au jeune homme et Eugène espéra ne pas y être pour quelque chose, pour il ne savait quelle raison. Il se promit d’avoir une petite discussion avec lui dès que ce serait possible pour tenter de comprendre ce qui le tracassait avant que cela n’ait d’autres conséquences, comme avec Tanner.

— Bon je vais chercher quelques petites choses et on va pouvoir y aller.

Le fantôme se reprit, focalisant de nouveau ses pensées sur la jeune femme plutôt que sur Jonathan qui s’éloignait. Elle semblait n’avoir rien remarqué de son attitude. Était-ce habituel ? Il se demanda même si ce n’était pas de la jalousie qui l’enveloppait de tant de négativité. Mais il devait mettre ça de coté pour l’instant et il sourit à son amie.

— Je vous suit, comme la dernière fois.

Armée de deux sacs visiblement lourds qu’il aurait voulu aider à porter, elle l’emmena dehors et dans les transports en commun. Encore une fois il se laissa surprendre par les différences entre ce monde ci et le passé dans lequel il avait vécu. Une fois à son appartement, il la laissa s’installer observant son environnement avec un brin de curiosité. C’était évident qu’elle ne venait pas ici souvent.

— On va se mettre là, expliqua-t-elle, comme ça je serais allongée ça sera plus sur. Ne vous faites pas, ce sont juste des capteurs. Quitte à faire ce que vous me proposez, j’aime autant pouvoir l’observer aussi depuis l’extérieur…

— Tant que je ne casse rien sans faire exprès, plaisanta-t-il pour alléger l’atmosphère.

Il valait effectivement mieux qu’elle soit allongée, cela lui éviterait de tomber car elle n’aurait après tout plus vraiment conscience de son corps, du moins au minimum. Depuis qu’il avait passé la porte, il commençait à se remémorer et à trier ce qui lui semblait important ou non à partager. Il ne voulait pas l’incommoder plus de quelques heures avec des détails inutiles. Il la laissa s’installer confortablement et se posa en tailleur un peu au-dessus du sol à côté d’elle.

— Quand vous êtes prête vous pouvez fermer les yeux, ce sera plus facile, conseilla-t-il d’un ton rassurant. Dites-moi quand je peux y aller.

Une certaine appréhension bouillonnait en lui mais ce n’était pas le moment de contaminer Fanella. L’expérience serait assez troublante pour elle comme ça. Il attendit qu’elle s’apaise et lui en donne l’autorisation pour entrer dans son esprit. Un mur fin se dressait entre leurs deux consciences pour éviter qu’elles ne se mélangent et qu’ils ne se perdent l’un dans l’autre. Cela ne l’empêchait pas de pouvoir soudain partager leurs émotions, comme distillées au goutte à goutte. Si elle n'allait pas pouvoir avoir à accès à ses pensées, elle risquait tout du moins d'en entendre une partie, comme une voix qui s'élevait dans le souvenir, accompagnée d'images. Rien de plus intrusif qu'elle ne subissait déjà. Il attendit quelques instants qu’elle se soit habituée pour commencer à induire dans ses pensées toutes ces images qui ne lui appartenaient pas mais qu’ils allaient à présent revoir ensemble.

Le premier souvenir était vieux, confus. Comme plaqué sur une ancienne pellicule usée. Mais marquant car c’était la première fois qu’il sortait du laboratoire depuis des années. Quelques images flashèrent assez vite ; ses parents qui l’avaient vendu au gouvernement lorsqu’il n’avait que huit ans puis les premières expériences. Les capteurs, les opérations, les puces. Les heures passées à deviner les pensées d’un autre assis derrière un plexiglas. Les mesures plus strictes au fur et à mesure qu’on se rendait compte de l’étendue de ses capacités. Et puis son esprit qui divaguait reprit contenance pour se graver dans le présent. Dans ce qu’il voulait vraiment montrer. Il y avait tant à voir, il ne pouvait s’arrêter sur tout. Les images ralentirent, se firent beaucoup plus nettes et en un battement de cœur, ils y étaient.

Eugène se tenait là, dans une pièce mal éclairée, sans fenêtre. Assis sur une chaise inconfortable, appuyé sur une table de métal froid. L’écho des bottes claquant fermement sur le sol et des voix ténues se faisaient entendre plus loin. Il était maigre, les habits les plus présentables qu’il portait étaient rapiécés, ses yeux bleus argentés perdus dans le vague. La moitié de ses cheveux n’avaient pas encore repoussé après ses dernières opérations. Du haut de ses seize ans, il donnait déjà l’impression en faire trente tant la mort semblait le marquer. Seules ses épaules qui se soulevaient doucement montraient qu’il respirait. Le souvenir termina de prendre en intensité tandis que l’ancien Eugène relevait la tête, se rendant compte qu’il n’était pas seul dans la pièce et que la voix étouffée qu’il entendait, comme s’il avait la tête sous l’eau, était en fait celle d’une femme en face de lui. Comme s’il venait d’émerger à la surface, elle se fit plus claire et distincte.

— … C’est pour ça que j’aimerai te voir rejoindre mon équipe. Tes capacités seraient une plus-value non négligeable et tu serais entouré d’autres personnes dans ta situation qui se serrent les coudes. Je te laisse le choix d’accepter ou de refuser cette offre.

Elle était sans doute aussi jeune que lui, une chevelure blonde éclatante retenue par un bandana entourait un visage strict mais duquel transpirait encore l’innocence d’une adolescente qu’on forçait à grandir trop vite. Elle portait une tenue militaire qui lui allait à merveille et son charisme emplissait la pièce. C’était ça, elle avait posé ses arguments, fait le listing de ses capacités et il s’était perdu dans ses propres souvenirs envahissants. Mais maintenant, elle attendait une réponse. Il planta ses yeux dans les siens. Elle ne céda pas une seconde. Sa voix était faible, éraillée lorsqu’il prit la parole, comme s’il ne l’utilisait que rarement. Ce qui était le cas.

— Mes choix sont donc de rester un rat de laboratoire ou de me battre dans cette guerre… Quelle différence cela fait ?

— Ce n’est pas évident ? Je t’offre la liberté de sortir de ce laboratoire et l’opportunité de faire la différence dans une guerre sordide qui n’en finit pas. De m’aider à y mettre un terme. De te battre pour ton pays pour sauver les innocents qui y vivent. Tu ne trouves pas ça important ?

C’était donc ce que les huiles avaient décidé pour lui ; lui rendre sa liberté s’il devenait un chien de l’armée. Plus d’expériences, plus d’opérations, s’il se rangeait à cette femme dont on vantait les mérites et qu’on craignait dans tous les pays alliés. La promesse de rester libre après la guerre était tentante mais cela semblait trop beau pour être vrai. Eugène se mit à rire. Un rire faible et épuisé. Son pays n’avait fait que le torturer et le traiter comme un monstre depuis sa naissance. Pourquoi devrait-il trouver cela important de se battre pour lui ? D’être… patriote ? Elle l’était, jusqu’au plus profond de son âme, il le sentait. Et cette aura de détermination qui l’enveloppait commençait à l’atteindre et à brouiller ses propres pensées.

— Je ne suis pas un soldat, je ne sais pas me battre... Autant me tuer ici et maintenant avant de t’en rendre compte plus tard. Tu n'as qu'à dire que j'ai essayé de t'attaquer, que tu as dû te défendre.

D'un geste de la tête il désigna les armes qui pendaient à sa ceinture. Joy, puisque c'était son nom, resta bouche bée devant cette affirmation. Elle qui semblait de par son caractère vouloir toujours avoir le dernier mot ne savait maintenant plus quoi dire et son air d'officielle de l'armée, de dure à cuire, se brisa quelque peu. Elle fronça les sourcils et plutôt que de rester plantée debout face à lui, elle tira la chaise de l'autre côté de la table et vint s'y installer.

— Je peux concevoir que cette proposition soit... désagréable, horrible... peut-être même comme un chantage. Mais promets-moi que tu vas y réfléchir, d'accord ? Je ne veux pas que tu retournes dans ce putain de labo.

Eugène serra les poings sur la table. Elle ne pouvait supporter l'idée qu'il veuille mourir, voyant cela comme l'horrible gâchis de vie d'un homme qui devait se révéler formidable. Qu'en savait-elle ? Des larmes se mirent malgré tout à couler malgré ses yeux fermement fermés et il ne put retenir quelques sanglots. Elle essayait de compatir, imaginant l'enfer qu'il avait du vivre en laboratoire. Elle avait fait des démarches d’elle-même pour le sortir de là bien en amont de leur rencontre. Bon sang, elle cherchait vraiment à l’aider et lui, il avait tellement peur. Dans l'esprit de la jeune femme se dessinait les visages d'autres hommes aux capacités étranges qu'elle avait voulu rassembler pour leur éviter le même sort. Peut-être qu'elle... avait raison ?

— Personne n'en aura rien à faire si je meurs...

— Moi j'en ai quelque chose à faire ! s'exclama-t-elle, tapant du plat de la main sur la table.

La vibration et le son le firent tressaillir, tandis qu'il ravalait avec douleur les émotions paniquées qui débordaient.

— Je vois bien que tu as l'impression de ne rien valoir mais personne d'autre dans le monde n'a ton expérience et tes capacités ! Personne ne pourrait nous aider comme tu en serais capable ! Tu vaux mieux que ce que ces gens ont voulu faire de toi là-bas. Laisse-moi te le prouver ! Si j’ai tort… je te laisserai décider de ton sort mais je sais que j’ai raison.

Tandis qu'il reste tétanisé, à court pour la première fois de sa vie de pensées dévalorisantes qui pourraient lui servir d'excuses, à bout de souffle, Eugène entrevit soudain la possibilité d'être utile au-delà des quatre murs de son laboratoire. De vivre. De se connecter à d'autres gens. D’avoir une famille, car c’était ainsi qu’ils se considéraient tous, dans cette équipe. Une famille de tordus mais une famille tout de même. Tout cela passa dans ses yeux livides qui s'éclairèrent soudain des braises qui annoncent un grand feu. Joy se leva de sa chaise, fit le tour de la table et lui tendit une main ferme et déterminée. Le médium prit alors une grande inspiration, comme celle qui précède un terrifiant saut dans le vide et la serra, de toutes ses forces. Aussitôt, Joy le tira pour qu'il se lève et lui donna une forte accolade. Dans ses bras, il se sentit plus vivant que jamais.

— Bienvenue parmi les Cobras, Eugène.

Quelques larmes coulèrent encore, emballées par son cœur qui n'avait jamais cogné aussi fort dans sa poitrine. Epuisé, il ne put prononcer qu'un seul mot avant que le souvenir ne s'étiole.

— Merci.
Eugène (The Sorrow)
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Dim 21 Nov - 22:10
Fanella avait entendu Eugène parler de cette partie de sa vie, assez sombre, où la CIA utilisait son fils pour faire pression sur lui. Comme souvent, elle était étonnée par la capacité des êtres humains à se faire du mal entre eux. Eugène partageait évidemment son point de vue sur le sujet. Malgré tout il trouva la force de quelques paroles rassurantes à son adresse. En effet, Fanella manquait de mots pour exprimer tout ce que ce récit lui inspirait. Heureusement, il avait cette capacité de savoir exactement ce qu’elle ressentait, et cette fois, cela leur facilitait les choses.

— A l’époque, toute cette pression devenait intolérable mais avec les années… je me suis autorisé à guérir et en parler ne peut qu’être la suite logique du processus. Alors je voulais vous remercier d’avoir le courage de m’écouter. Je pense que… ça va bien se passer. Ne vous en faites pas, ce n’est pas grave si vous ne trouvez pas quoi dire… certaines choses se passent de mots et votre cœur parle suffisamment pour vous. Ça me touche beaucoup.

Fanella lui sourit, chassant les larmes qui lui montaient. Après tout l’heure de la réunion approchait.

— C’est normal, dit-elle, après tout je pense que nous pouvons nous considérer amis à présent…

Lorsque la réunion fut terminée Fanella se sentait optimiste malgré les mises en garde de Jonathan. En même temps, il n’avait aucune idée du genre de test auquel Eugène et elle allaient se livrer et elle ne pouvait pas vraiment le lui expliquer sans risquer de compromettre Eugène. Fanella avait confiance en Jonathan pour ne pas mal réagir, mais si Eugène lui avait demandé de garder le secret, elle respectait son choix. Après voir récupérer autan de matériel de mesure qu’elle pouvait en porter, elle entraîna Eugène dans les transports en commun puis jusqu’à chez elle. Une fois là bas, essayant de ne pas penser à l’allure de magasin de meubles de son appartement, elle se mis à installer le matériel près de lui, expliquant qu’elle préférait être allongée.

— Tant que je ne casse rien sans faire exprès, plaisanta le fantôme.

Elle eut un rire avec lui. Mais normalement si elle calibrait correctement les appareils, le risque restait relativement faible. De toute façon, il valait largement le coup de sacrifier quelques capteurs un peu peu trop capricieux pour récolter des données sur cet échange de souvenir auquel Eugène allait se livrer.

L’anxiété gagna Fanella lorsqu’elle prit place sur le lit malgré tout. Elle essaya de n’en rien montrer avant de se souvenir qu’évidemment Eugène la percevrait comme tout le reste. Décidément, elle avait du mal à s’y faire.

— Quand vous êtes prête vous pouvez fermer les yeux, ce sera plus facile. Dites-moi quand je peux y aller, commença-t-il d’une voix rassurante.

Fanella prit le temps de forcer sa respiration à se faire plus tranquille, de trouver une position confortable. Lorsqu’elle fut parvenu à un semblant de détente, elle répondit doucement.

— Je pense qu’on peut y aller…

Rien n’aurait pu préparer Fanella à ce qu’elle était en train de vivre. D’autres émotions, une légère anxiété qu’elle ne reconnaissait pas par exemple se superposèrent aux siennes, lui donnant l’impression que son esprit voyait soudain double. Elle força à nouveau dans ses poumons quelques grandes respirations amples et tranquilles. L’opération n’était pas douloureuse, elle ne risquait rien. Elle entendait des bribes de phrases auxquelles elle ne comprenait rien et sentit comme ballottée par un courant intérieur qu’elle observa en elle avec curiosité.

Puis elle eut l’impression qu’on venait soudain de la lâcher du haut d’un grand huit. Son oreille interne n’aima pas ce qui se produisit jusqu’à ce qu’une image se stabilise devant elle, malgré ses yeux fermés.  Elle se trouvait comme dans un vieux film de très mauvaise qualité. Un film d’horreur plus précisément. Des parents vendaient leur enfant puis on faisait sur lui des expériences, ou l’on ouvrait, on le mettait à l’épreuve.

Enfin l’image se stabilisa et elle reprit son souffle comme le décor s’éclaircissait. Cependant, elle avait compris, cet enfant, c’était Eugène. Tout cela était, bien, bien pire que ce qu’elle avait anticipé. La pièce où il était assis ressemblait aux salles d’interrogatoires dans les mauvais film policier. Il fallu encore une seconde à Fanella pour réaliser que cet adolescent maigre, fatigué, dont le crâne portait encore la trace des sévices qu’il avait subit, c’était aussi lui. Si jeune et déjà son regard, tellement éteint faisait l’effet de celui d’un vieillard qui a connu l’horreur.

Face à lui se tenait une jeune femme. La chercheuse devina qu’il devait s’agir de celle qui allait devenir sa femme. Ce jour là, elle avait une proposition à lui faire  : sortir du laboratoire où il vivait pour aller faire la guerre. Son projet à lui était beaucoup plus simple, mourir, ici maintenant.
Il se mis à sanglotter et Fanella se demanda si son coeur allait supporter ce qu’elle était en train de voir. Cette phrase surtout allait rester avec elle.

- Personne n’en aura rien à faire si je meurs.

Heureusement son interlocutrice ne l’entendait pas de cette oreille et Fanella était d’accord avec elle. Elle essaya de lui dire qu’il avait de la valeur, avec colère. Finalement, elle ne lui laissa pas le choix. Sans comprendre comment, elle sut que ses intentions étaient fondamentalement bonne, avant de se souvenir que si Eugène lisait dans les esprits, elle aussi, dans ses souvenirs d’une certaine façon.

Apparemment Eugène allait entrer dans l’armée et sortir du laboratoire. Fanella n’avait pas encore décidé si c’était une bonne nouvelle ou non, mais en tout cas à travers ses larmes, et presque malgré lui l’adolescent semblait avoir reprit espoir.
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Lun 22 Nov - 13:34
La suite des souvenirs d'Eugène étaient quelques images éparses de son voyage avec Joy jusqu'à Washington et la caserne qui allait devenir sa future maison. Il avait d’abord vu les dirigeants de la CIA en entretien, avait dû signer des papiers, obtenu une carte d’identité, sa deuxième nationalité américaine. Il avait énormément dormi sur le trajet et sa rencontre avec ses nouveaux camarades était entourée du brouillard d'une fatigue extrême. Il se rappelait néanmoins avec précision du moment où avait serré la main à tout le monde et tout appris de leurs vies en un instant.

D'abord Fréderic, qui s'occupait de tailler les buissons et d'arroser les jardinières à l'entrée de ce bâtiment neutre, plat et blanc, seule touche de couleur qui rendait l'endroit vivant vu de l’extérieur. Il l'avait pris pour un jardinier mais il s'agissait en fait d'un agent français assez spécial, tout comme lui. Surnommé The Pain, apiculteur de profession, il avait été choisi pour être le cobaye d'expériences sur les vespidés à base d'utilisation de phéromones. La partie laboratoire de sa vie n'avait pas dû être tendre puisque son visage était boursouflé de cicatrices de piqures de guêpes et de frelons qui ne partiraient plus jamais. Depuis, ces insectes terrifiants le suivaient et obéissaient même à ses ordres. Certains vivaient même en lui. Une douleur à laquelle il s'était habitué mais Eugène s'était juré de ne plus jamais le toucher sauf si cela était nécessaire.

Puis, à l'intérieur, dans la première pièce qui n'était autre qu'une salle commune avec une grande et longue table en bois, une cuisine équipée de l'époque en formica et un salon bien largement inutilisé avec sa télévision cathodique et ses magasines qui traînaient, il avait fait la rencontre des autres. Caïo d'abord, qu'on appelait The Fear, expert en pièges et poisons. Un brésilien très fin et grand, au teint mat et aux cheveux noirs, originaire des favelas de Rio, enlevé par des scientifiques et dont la peau était capable de changer de couleur tel un caméléon depuis son passage en laboratoire. Au premiers abords, Eugène avait cru qu'il le détestait. Il n'avait pas cessé de lui faire des blagues de plus ou moins mauvais gout voire de lui jeter des remarques blessantes. Mais il s'était avéré que c'était juste sa façon à lui d'entrer en relation avec les autres. Et il s'acharnait à faire des progrès avec l’aide de Joy. Au fil des missions et des années, il s’était révélé un homme touchant à l’histoire difficile mais ils avaient fini par s’apprécier tous les deux et se faire confiance.

Alexei, le seul autre russe de la compagnie, taillé comme un ours, aussi nommé The Fury avait apprécié d'avoir un nouvel allié de sa nationalité. Il avait très vite pris l'habitude de le surnommer Tovarich, dont la traduction était camarade de même sang en russe. Prompt aux accès de furie, d'où son nom de code, il était connu pour être pyromane et pyrokinésiste. Un charmant expert en explosifs qui se battait au lance flamme. Il était présentement en train de faire brûler les lasagnes qu'ils allaient tous manger à midi sous les réprimandes de tous ses camarades qui ne voulaient pas mourir en dégustant du charbon. Cela l’avait quelque peu vexé et sous le regard interloqué du pauvre Eugène, il avait balancé le plat de lasagnes sur Fear qui voulait voter pour qu’il ne fasse plus jamais la cuisine. Joy avait dû intervenir et le jeune garçon s’était alors rapproché d’un autre homme qui n’avait pas bronché malgré l’altercation.

The End était un drôle de personnage. Un vieux monsieur moustachu un peu rondelet, au crâne dégarni couvert de taches de vieillesse dont personne ne connaissait véritablement le nom, qui ne faisait que dormir sur le canapé. Il avait d'ores et déjà à peu près soixante-dix ans. Les américains l'avaient vraisemblablement infesté de parasites étranges lui ayant permis, au fil des années, de vivre de la photosynthèse comme les plantes. Ce qui pouvait expliquer sa forme olympique lorsqu'il se réveillait, malgré son âge avancé. C'était un sniper hors pair, toujours accompagné de son perroquet vert et un homme posé et sage, le doyen de l'équipe et il était respecté de tout le monde. Eugène avait toujours beaucoup apprécié discuter de tous les sujets avec lui.

Le fantôme du présent s'était permis d'expliquer à Fanella tout cela plus ou moins oralement pour qu'elle ait plus d'informations, sa voix comme un doux écho au milieu de ses pensées. Au final, la plus normale de toute leur folle équipe était peut-être bien Joy. Son rocher, la personne de qui il hésitait le moins à s'approcher, content de pouvoir profiter de son esprit apaisant. Chacun avait donc un nom de code symbolisant les émotions qu'ils emmenaient avec eux au combat. A l'époque Eugène se demandait lequel deviendrait le sien. Puis les souvenirs avançaient encore.

Au fil des entrainements physiques laborieux, de la présence éreintante des fantômes et des demandes d'espionnage à distance du gouvernement américain, les mois avaient passé. Eugène avait quelque peu changé, d'adolescent rachitique, il avait enfin pris un peu de poids, surtout du muscle, et ses cheveux avaient repoussé. On lui avait enfin offert des lunettes pour lui permettre de contrecarrer sa myopie affligeante et il avait eu droit à sa propre arme qu'il portait dans un holster d'épaule, plus pour faire joli qu'autre chose. Joy lui avait appris à s'en servir mais l'idée de l'utiliser le répugnait, le terrifiait. Tout ce qu’il lui manquait maintenant était l’assurance d’un soldat qui connaissait ses limites, ses forces et ses faiblesses, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds et qui savait que sa vie avait de la valeur. Il travaillait là-dessus.

Il avait fini par devenir The Sorrow. Comme cette émotion qui l'entravait depuis sa naissance et qu'il semblait attirer, absorber partout où il allait. C'était une manière de se rappeler qu'il portait avec lui la nécessité de mettre fin à cette guerre qui avait déjà fait trop de morts. Certains jours étaient plus difficiles à subir que d'autres, lors desquels il se perdait dans un brouillard déprimant et dissociatif et ne reconnaissait plus personne. Mais il continuait malgré tout d'essayer de se donner une chance de vivre. De se battre, d'aller aux entrainements, d'écouter ou de prendre part aux discussions de ses camarades très timidement. Ne serait-ce que pour remercier celle qui l'avait sorti de la misère dans laquelle il était plongé. Joy était toujours très compréhensive, prompte à le défendre lorsque ça n'allait pas ou que la CIA venait lui demander quelque chose d'impossible à réaliser.

Ce jour-là, ils étaient tous à table et elle l'observait avec stupeur, comme tous ses autres camarades d'ailleurs et comme le Eugène de l'époque semblait soudain se rendre compte de la réalité, le souvenir le devint lui-même davantage. Le jeune soldat rougit soudainement face aux regards braqués sur lui et rentra sa tête dans ses épaules, cachant en partie ses joues dans le col roulé de son pull. Il savait qu'il lui arrivait d'être étrange, que la présence de certains fantômes soit si forte qu'il se mette à crier ou à déblatérer des choses incohérentes pour un public non préparé. Il avait totalement oublié de quoi parlaient ses amis.

— Je... désolé ? qu'est-ce que... Qu'est-ce que j'ai fait ? demanda-t-il presque avec désespoir.

— Euh... t'as rigolé mec, genre vraiment. Finit par expliquer The Pain après un long silence.

Il semblait pris au dépourvu, ce qui était immensément rare. Cette réponse acheva de rendre confus le médium qui ne s'était même pas entendu rire. Les esprits de ses compagnons ne mentaient pas cela dit et le fou rire avait apparemment duré un petit moment, réponse à une blague idiote qu’avait fait Frédéric, celui qui venait de lui répondre. Fury se mit à rire lui aussi, le faisant sursauter et il s'alluma une cigarette nonchalamment. Il souffla une bouffée avant de prendre lui aussi la parole.

— Tovarich, t'as pas décollé un sourire depuis que t'es arrivé. De nous tous, c'est toi qui porte le mieux ton nom.

— Fais pas cette tête de choqué ! s'exclama Fear avec un sourire carnassier. Tu nous as à peine adressé la parole en deux mois ! J'étais halluciné quand Joy nous a dit que tu étais vivant et que tu possédais effectivement une personnalité qui valait la peine qu’on s’y intéresse.

Sa remarque fut accueillie par une tape à l'arrière de sa tête, suffisamment sentie pour qu'il se frotte le crâne. Nulle autre que Joy ne pouvait faire ça sans en subir les conséquences. Elle prit à son tour la parole et Eugène ne put s'empêcher de rougir encore un peu plus, s'autorisant à sortir la tête de ses épaules avec un regard contrit.

— Ce qu'il essaye de dire, commença-t-elle avec un ton sérieux mais plein de gentillesse, c'est qu'il est soulagé de voir que tu te sens enfin suffisamment à l'aise parmi nous pour te relâcher et t'amuser. Et moi aussi je suis heureuse que tu te sentes mieux, je sais que le changement a été brutal et difficile et... merci d'être resté avec nous.

Son regard bleu plongea dans celui d'Eugène et son expression s'adoucit encore un peu, envoyant comme une pierre chaude et lourde dans l'estomac du jeune homme. Merci d'être resté avec moi était ce qu'elle aurait voulu dire. Il lui sourit en retour, à la surprise générale et le soleil transperça soudain les vitres de ses rayons, inondant la pièce d'une douce chaleur.

— Je suis... heureux aussi.

En réponse, ses amis applaudirent, lui donnant des petites tapes sur l'épaule, rigolant de bon cœur. Sorrow aurait voulu dire tellement plus à Joy. Il était tellement plus qu'heureux et reconnaissant de tout ce qu'elle avait eu le courage de faire pour lui, pour sa patience, sa joie communicative. Mais pas devant tout le monde, il n'oserait pas. Il pouvait malgré tout lire dans ses yeux qu'elle comprenait. A partir d'aujourd'hui, son cœur allait commencer à s'emballer plus que de raison à chaque fois qu'il aurait la chance de partager un moment avec elle.

Venait ensuite, après un petit moment passé à se concentrer, à se rappeler, sa première mission seul avec Joy, après deux ans intensifs de cohabitation et de missions. Ils devaient se faire passer pour un couple pour approcher plus facilement certaines cibles allemandes, récupérer des informations et parvenir à faire sortir une machine Enigma du pays à l’aide de tout un réseau d’espions pour la ramener aux alliés. Un fastueux gala à Cologne signait la fin de leur mission. Sans doute le souvenir le plus heureux de son existence.

Le gala battait son plein, la musique entrainante et les rires le changeaient de l’armée et de la guerre qui planait toujours au-dessus de sa tête. Son costume noir était tellement reluisant, son attitude tellement vivante, qu’il ne se reconnaissait dans aucun miroir. Il n’était bien évidemment pas à l’aise du tout, habillé de cette manière, ni même dans ce pays tout entier mais le jeu voulait qu’il soit aujourd’hui un riche autrichien marié plutôt que le médium qui parlait aux morts, arme secrète de l’Amérique. Les esprits enivrés faisaient bouillir ses pensées avec une profusion de couleurs et d’émotions mais heureusement, Joy qui était à ses côtés s’employait à ne lâcher sa main qu’en de rares circonstances. Elle était plus belle que jamais dans une robe bleue pailletée, affublée d’un collier en saphir et de boucles d’oreilles qu’elle avait trouvées ridicules. Il avait trop l’habitude de la voir en treillis militaire et cette tenue qui mettait soudainement toutes ses formes en valeur le prenait complètement au dépourvu.

Il avait fait de son mieux pour ignorer les sentiments qui faisaient battre son cœur au détriment de sa raison et rester concentré tout le long de la soirée, tout le long de la mission et même tout le long de l’année écoulée. Ils avaient dansé, bu quelques coupes de champagne, badiné avec de riches hommes d’affaires et héritiers. Les allemands qui faisaient la fête ne s’étaient pas encore rendu compte que le convoi transportant la machine de la mort vers Berlin avait été pris en embuscade grâce aux informations récoltées par Eugène et qu’elle n’atteindrait jamais sa destination. Il avait tout orchestré avec sa supérieure, jusqu’au plus petit détail pour que le déraillement du train et l’explosion qui s’ensuivrait passe pour un accident et qu’on pense Enigma réduite en cendres dans les décombres. Et lorsque la fête fut définitivement terminée, ils étaient rentrés main dans la main dans une vieille calèche à leur hôtel, tard dans la nuit, pour mieux repartir le lendemain, habillés en militaires, sous de nouvelles fausses identités, à bord d’un avion à la fausse immatriculation, comme s’ils n’avaient jamais existé.

L’air brassé par le vent faisait onduler la surface du lac sur lequel la Lune projetait sa lumière fantomatique. Eugène était adossé à une rambarde, sur le balcon de leur chambre dont la décoration appartenait à un autre âge, observant les étoiles par-delà les lumières de la ville. Tout cela lui semblait appartenir à un rêve. Il avait retiré son costume noir pour n’en garder que la chemise mais cette dernière risquait elle aussi de finir remplacée par un de ses fameux pulls en laine qui lui tenait si chaud. Après une soirée si mouvementée cela dit, il avait besoin d’air frais pour se délester des pensées de toutes les personnes horribles qu’il venait de côtoyer. Des trafiquants d’art allemands, des scientifiques ayant mis au point des drogues pour les soldats. Leurs esprits baignés d’atrocités intolérables restaient collés à sa peau comme des sangsues et il lui fallait un peu de temps pour éclaircir ses pensées.

Une main douce glissa le long de son dos, accompagnée d’un petit rire et il frissonna à ce contact qu’il avait pourtant senti arriver. Joy était à ses côtés, sortie de la douche avec une simple nuisette. Encore une fois, pas une de ses tenues habituelles et il vira au rouge, détournant le regard, horriblement gêné. Ses pensées lui disaient qu’elle était bien consciente de l’effet qu’elle faisait et qu’elle recherchait et son esprit se perdit en pleine confusion. Il n’y avait plus besoin de jouer le jeu du couple pourtant…

— Tu vas bien ? demanda-t-elle doucement.

— Un peu brassé, mais je tiens le coup.

— Je t’ai trouvé exceptionnel ce soir, admit-elle en glissant une mèche de ses cheveux argentés battus par le vent derrière son oreille.

Avec agacement, Eugène repoussa sa main, le cœur serré soudain. Est-ce qu’elle… se moquait de lui ? Faisait ça pour l’humilier ? Il était évident que ces années passées à ses côtés, ces années passées à se sentir vivant… l’avaient empli d’un profond respect et d’une reconnaissance inégalée à l’égard de sa supérieure. Ces sentiments s’étaient même transformés en quelque chose de plus profond et tumultueux mais qu’il ravalait continuellement. C’était un rêve, impossible à réaliser. Qui voudrait de lui ? il ne se voulait pas lui-même.

— A quoi tu joues, Joy ? demanda-t-il avec tristesse en baissant les yeux. Nous n’avons plus besoin de faire semblant ici.

— Je sais, dit-elle simplement en lui attrapant la main qui avait tenté de la repousser. Je n'ai plus envie de faire semblant... Je n'y arrive plus, je n'ai plus envie de me forcer à croire que je ne ressens rien.

Eugène lui-même avait été fermé au signes réciproques qu’elle lui lançait. D'abord de l'intérêt, puis de la fascination, puis un désir, un espoir bien plus grand. Un dialogue de sourds entre deux amoureux qui ne voulaient pas l’admettre. L’alcool avait dû un peu débrider les pensées de Joy, en attestaient ses pommettes roses et son cœur qui battait. Elle restait néanmoins assez sobre pour savoir parfaitement ce qu’elle faisait. Elle aurait pu choisir n’importe qui d’autre pour cette mission mais elle l’avait choisi lui pour partenaire. Pour avoir cette excuse à ce moment précis. Pour apprendre à mieux le connaître. Pour se prendre au jeu jusqu’à ce que ça n’en soit plus un. Alors elle l’avait embrassé et ce baiser avait un gout tellement différent, tellement vrai. Les pensées de Joy pénétrèrent en lui à ce contact et il fut vite submergé, entraîné par ses émotions. Qu’allaient donc en penser les autres ? Joy s’en fichait, ils ne vivaient qu’une fois, avaient fait des choses complètement folles ces derniers mois. Elle était amoureuse, il l’était aussi. Il fallait en profiter avant qu’il ne soit trop tard ou que l’un d’eux ne meure, l’arme à la main sur le champ de bataille. Il fallait qu’Eugène cesse de se poser des questions, de se demander s’il avait légitimement le droit d’être heureux et le soit, tout simplement. Elle avait raison. Ses pensées répondaient juste à tous les contre-arguments du jeune homme. Cela ne méritait même pas une discussion avec des mots, simplement d’être vécue. C’était ainsi que leur relation avait commencé. Pour son plus grand bonheur, ses amis les avaient soutenus, heureux même si certains avaient été un peu jaloux du nouveau traitement de faveur d'Eugène. Avant de se rendre compte que ça n'avait rien changé et que Joy continuait de le faire travailler autant qu'eux.

Et ils s’étaient mariés quelques mois plus tard, en comité restreint avec leurs amis, sans fioritures, sans costumes. Eugène y avait tenu, à cette remise d’alliances, cette symbolique. Il voulait être lié éternellement à celle qui l’avait sauvé, dans la vie comme dans la mort. La CIA avait vu cela d’un très mauvais œil, Joy leur avait ri au nez en exprimant haut et fort qu’elle faisait ce qu’elle voulait avec qui elle voulait et que son corps, sa vie, sa destinée, n’appartenait qu’à elle. Pour les punir tous les deux, l’unité entière avait été envoyée à Stalingrad pour reprendre la ville et Joy avait par la suite été envoyée sur de longues missions seule pour qu’ils se voient le moins possible. Mais ce qu’ils avaient créé ne pouvait être brisé. La suite des souvenirs n’allaient maintenant qu’empirer, il en avait bien peur.

Devant ses yeux s'étendait la ville en ruines de Stalingrad, les corps sur le sol. Au-delà des cris des fantômes qui enflaient dans sa tête, Eugène entendait ceux des soldats bien vivants, des tirs, des obus. Il était couvert de poussière, de suie, de sang et semblait plus éprouvé que jamais. La première grande bataille des Cobras, en janvier 1943, pour reprendre la ville Russe aux Allemands. Fury embrasait le ciel de son feu tandis que lui progressait au sol avec ses camarades, donnait des informations sur l’avancée ou le recul des troupes ennemies en se fiant à ce que ne pouvaient lui cacher les morts.

Et puis il y avait eu cette ligne. Celle qu'il avait toujours eu peur de franchir car il n'y avait dès lors plus de retour en arrière possible. Il y avait cette décision à prendre. Celle de blesser volontairement un autre pour protéger ses camarades. Ses amis. Penser à prendre la vie d'un autre le paralysait, remplissant ses poumons de presque autant d'horreur et de culpabilité que lorsqu'il imaginait perdre un être cher à cause de sa propre lacheté. Alors son doigt avait appuyé sur la gâchette.

L'allemand qui venait d'essayer de prendre Fear et Pain par surprise s'était effondré au sol et Eugène avait senti la balle le transpercer comme si c'était lui qui l'avait prise. Il avait lâché son arme et était tombé sur ses genoux dans la boue avec le bruit d'une bombe. Le souffle coupé, il avait posé sa main sur sa poitrine. Le sang ne coulait pas et la douleur refluait aussi vite qu'elle était arrivée tandis que son ennemi et lui partageaient soudain la sensation de la mort. Il n'y avait même pas besoin d'aller vérifier. Son fantôme était déjà là, pénétrant son esprit par des images et des paroles confuses. The Pain lui posa une question qu'il coupa de sa propre voix, qu'il entendait à peine.

— Suivez moi, je sais où est leur salle des opérations, on peut saboter les communications, ordonna-t-il d'une voix blanche et ferme que personne ne lui connaissait.

Aucun de ses deux amis n'osa protester car ils observaient soudain dans son regard quelque chose qu'ils avaient rarement vu. Avec les années, Eugène avait appris à passer au delà de la peine ou de la colère affligeante provenant des fantômes, au delà de la dissociation. Il avait appris à contrôler avec plus de précision ses capacités, se retrouvant marionnette volontaire autant que marionnettiste, prenant seulement ce qu'il lui fallait sur le moment, laissant à plus tard le reste.

— Finalement t'es pas aussi inutile que je le pensais, ricana Fear qui semblait malgré tout soulagé de l'initiative qu'il venait de prendre pour lui sauver la vie. Je te l'accorde, t'es plus un bébé pleurnichard, t'es enfin devenu un homme. Il était temps.

— Et malgré ça tu n'es toujours capable de dire quelque chose gentiment, répliqua Eugène avec un léger sourire qui cachait mal son accablement. Je suppose que nous grandissons tous à des rythmes différents.

Tous deux avaient une définition bien différente du fait de devenir un homme. Si cela impliquait de devoir tuer quelqu'un, Eugène n'aurait jamais voulu le devenir. Il avait raison cela dit sur un point ; il n'était pas ausi inutile qu'il le pensait lui même. Il ne devait plus rester passif. Il était un soldat et il venait de sauver la vie de ses amis. Fear voulait tenter de le complimenter et il avait décidé de le prendre comme tel. Oui il avait tué quelqu'un. Il était aussi peut-être le seul à en percevoir et à devoir en supporter toutes les conséquences. Il ne s'y résoudrait qu'en dernier recours et toujours avec un immense respect pour ceux qui tomberaient de sa main. Le prochain souvenir qui défilait maintenant se déroulait un an plus tard en 1944.

Sous la tente de fortune montée à la va vite non loin du tarmac, toute l’équipe était en effervescence. Eugène faisait les cents pas non loin de la table où étaient installés les autres, au rythme du vent qui faisait claquer la toile. Dans deux jours ils partaient pour les plages de Normandie et le Débarquement. A côté de ça, cela faisait six mois que Joy était partie seule en mission d’infiltration pour tenter de se renseigner sur un certain Heisenberg, instigateur des recherches sur le nucléaire en Allemagne et d’informer les Etats-Unis sur l’avancée technologique du pays rival. Officiellement ces recherches n’étaient pas militaires mais personne n’y croyait vraiment, surtout en temps de guerre. Ils avaient eu l’information qu’elle terminait son dernier briefing pour venir les rejoindre incessamment sous peu.

Fury que le vent et les allées venues d’Eugène exacerbaient au plus haut point, frappa sur la table. Le médium sursauta alors, faisant presque tomber ses lunettes, coupé dans son élan par le choc qui avait fait trembler tout le monde.

— Sorrow ! Tu me stresses à t’agiter comme ça ! Elle va arriver !

— Et toi t’arranges pas les choses à beugler, c’est tout ce que tu sais faire ! contra Fear, les bras croisés.

Les deux hommes qui se disputaient assez régulièrement s’attrapèrent par-dessus la table pour tenter de se frapper. A côté d’eux, The End ronflait, imperturbable. The Pain buvait son café en observant la scène un peu en arrière tandis que quelques abeilles volaient autour de sa tête. Bien que Joy l’eut nommé commandant en second, l’idée d’aller séparer ses deux coéquipiers et de faire preuve d’une once d’autorité ne lui vint pas à l’esprit. Tandis que les chaises commençaient à tomber par terre et la table à trembler, le voile de la tente s’ouvrit brusquement sur une femme blonde vêtue d’une combinaison blanche. Fury et Fear se lâchèrent abruptement comme s’il ne s’était rien passé et tous explosèrent alors de joie, se ruant sur leur capitaine dont les traits tirés s’adoucirent en voyant ses amis de toujours.

— Ah elle est là, la meilleure de toutes !

— Enfin rentrée, ça faisait tellement longtemps !

— Moi aussi je suis contente de vous revoir les amis !

Elle donna une grande accolade à tous, même à The End qui ouvrit un œil endormi avant d’aviser Eugène qui n’avait pas bougé. Il s’était figé, la scrutant avec effroi et Joy regarda d’abord derrière elle comme si elle risquait d’y trouver un fantôme. Elle esquissa un sourire d’abord radieux mais qui se fana un peu en voyant que l’état de son amant ne s’arrangeait pas.

— Je m’attendais à te voir un peu plus excité que ça tout de même.

Les autres rigolèrent grassement, expliquant à quel point il avait fait les cents pas il n’y avait même pas cinq minutes. D’abord hésitante, Joy vint le prendre dans ses bras et Eugène la serra fort contre lui mais il semblait retenir sa respiration, interdit. Quelque chose n’allait pas.

— Désolé est ce que… je peux te parler ? Seul à seul ?

— Elle vient à peine de rentrer et il la veut déjà pour lui tout seul, se moqua The Pain pour cacher un brin de frustration jalouse.

Ils voulaient tous profiter des retrouvailles et Eugène en était bien conscient. Joy lui tira la langue, passant son bras autour des épaules de son mari pour le tirer vers l’extérieur de la tente. Le médium sentait qu’au fond d’elle, elle était un peu triste et vexée qu’il ne l’ait pas accueilli comme les autres. Elle avait vu son regard changer du tout au tout. Elle avait l’habitude bien sûr de ses états fluctuants mais ne pouvait s’empêcher d’avoir un pincement au cœur.

— Désolé Joy, je suis vraiment content de te voir c’est juste que…

— Quelque chose à pris le pas là-dessus, le coupa-t-elle gentiment. Et j’aimerai savoir quoi pour profiter de nos derniers jours ensemble avant le grand départ.

Sur le tarmac balayé par le vent et éclairé par les lumières, une agitation tendue régnait tandis qu’on faisait le plein des avions et qu’on s’attelait aux dernières vérifications. Ils s’arrêtèrent dans un petit carré d’herbe vaguement éclairé, assez loin des oreilles indiscrètes et Joy se planta devant lui. Elle avait toujours ce sourire rayonnant qui tentait de masquer son inquiétude et ses questions et Eugène était toujours livide. Il fixait le ventre de la jeune femme comme si c’était la chose la plus terrifiante qu’il n’avait jamais vue.

— M-mais quoi… rit-elle nerveusement en posant ses mains là où il regardait.

— Je ne sais pas comment t’annoncer ça Joy… déclara-t-il d’une voix blanche et tremblante. Tu es enceinte…

Depuis qu’elle était entrée dans la tente il percevait les faibles pensées et émotions d’un petit être déjà bien développé dans son ventre. C’était très perturbant et il ne pouvait cesser de se focaliser dessus. Avec terreur, il avait fait les calculs. Ils n’avaient eu que peu de vrais moments d’intimité pour s’adonner à de sérieux câlins mais la dernière fois datait d’au moins sept à huit mois, avant sa mission donc. Il déglutit avec peine tandis que l’incrédulité de Joy déferlait sur lui.

— Ecoute Eugène… je ne sais pas exactement ce que tu me fais mais regarde, où tu veux qu’il soit, je n’ai pas de ventre, j’ai mes règles, je n’ai même pas pris de poids. Les médecins l’auraient remarqué ! Est-ce que… ça pourrait-être un fantôme ?

Il secoua la tête, convaincu de ce qu’il ressentait. Elle batailla avec ce que ses yeux lui montraient, avec le déni et les preuves qui manquaient et la panique s’empara d’elle aussi au fur et à mesure que les minutes passaient. Elle ne pouvait pas ne pas le croire après tout. Ils se regardèrent, terrifiés au fur et à mesure que la nouvelle s’imprimait à leurs esprits en même temps. Joy retint un fort sentiment de nausée. Bon sang, aucun des deux n’était prêt à devenir parent. Ils partaient pour la Normandie, ils ne pouvaient le dire à personne.

— Eugène… on a pas le choix, il faut qu’on participe au débarquement… Je… on a travaillé trop dur pour ça. Tant de gens comptent sur nous. On a encore le temps, quand ce sera terminé on prendra le temps d’y penser, d’accord ?

— Je comprends… soupira-t-il, la gorge nouée, les larmes au bord des yeux, accablé à l’idée qu’elle risque deux vies au lieu d’une à présent. Mais je t’en supplie sois prudente…

Joy était bornée et il ne parviendrait jamais à lui faire entendre raison. Surtout si une partie d’elle était toujours dans le déni et il ne pouvait lui en vouloir de faire passer l’œuvre de sa vie avant un enfant dont elle venait de découvrir l’existence. Il espérait juste qu’ils avaient réellement le temps d’y penser et qu’elle ne se blesse pas dans la bataille qui les attendaient. Ils ne se sentaient même pas capable de l’annoncer à leurs camarades. Ce qui aurait du être une bonne nouvelle sonnait comme une malédiction. Lorsqu’ils revinrent dans la tente il leur fut très difficile de se remettre dans l’ambiance. Heureusement, Joy avait toujours été plus douée que lui pour donner le change et Eugène se contenta de rester dans un coin, réagissant à peine aux piques de Fear venu plusieurs fois l’embêter. Les deux jours suivants, ils s’isolèrent beaucoup pour discuter mais cela ne les apaisa pas pour autant.

Puis le Débarquement leur tendit les bras. Les images du briefing, les objectifs de l’équipe séparée, le saut en parachute sur les plages de Normandie, l’horreur de la pire bataille de son existence revinrent en mémoire, accompagnée d’une certaine tension. Fanella avait vu le meilleur souvenir de son existence… Elle allait à présent appréhender le pire. Elle pouvait sentir la peur et la honte de l’esprit mais aussi la nécessité qu’il avait à le lui montrer.

Eugène marchait au milieu des cadavres sur une plaine rouge de sang qui ressemblait plus à un marécage. L’odeur des embruns de la mer enragée non loin mélangé au fer et aux corps en décomposition lui donnait envie de vomir. Il y avait des fantômes absolument partout. Certains étaient amalgamés, un amas confus de bras, de têtes, de jambes, le tout lui donnant l’impression qu’un brouillard épais s’élevait à perte de vue. Au loin à l’est, par-delà la base ennemie qu’ils venaient de prendre, on entendait encore le bruit des combats et des obus qui tombaient. Fear et Fury étaient encore à l’intérieur à saboter les missiles V2 qui allaient priver les allemands de leur victoire. The End avait été parachuté dans une ville non loin pour y opérer comme sniper et The Pain était sur le front, occupé avec ses frelons à contenir les lignes ennemies. Joy menait les troupes à la victoire qui ne risquaient plus à présent de voir une pluie de feu s’écraser sur eux. Le débarquement avait réussi. La guerre semblait commencer à être gagnée.

Eugène voulut prendre une grande inspiration et mal lui en prit puisque la nausée le plia en deux, autant à cause de l’odeur que de la souffrance continue qui planait dans l’air. Il avait participé à ce massacre, y avait même laissé une partie de son âme et tout ça pour quoi ? L’humanité ne pouvait-elle donc pas s’entendre ?  The Sorrow, tel était son nom, à lui qui portait la tristesse des morts sur le champ de bataille. Il était bien le seul à pleurer pour tous ces allemands à qui il avait pris la vie. Emmené loin de leurs familles. Certains fantômes lui hurlaient qu’il ne méritait pas la sienne, tentant de le rouer de coups, de le mordre. Fury, armé de son lance flamme, fut soudain derrière lui, une main sur son épaule.

— Tovarich… reviens parmi nous, on a un problème, lui dit-il d’un air grave.

Eugène se redressa pour le regarder. D’un geste de la tête il désigna la silhouette d’une dizaine de militaires qui s’avançaient vers eux. Des hauts gradés américains et des soldats d’élite armés d’après leurs insignes. Au-delà de ça, les pensées de son ami le firent déchanter. Lui et Fear avaient intercepté des communications sur leur radio portative ; Joy avait pris une balle dans le ventre et avait été rapatriée au bloc médical de fortune installé sur la plage.

— Yevgeny Ribakov ? demanda le colonel le plus haut gradé, arme à la main, lorsqu’ils furent assez proches.

Cela faisait des années que personne ne l’avait appelé ainsi, encore moins par son nom de famille, hérité de ses parents. Une pauvre famille de pêcheurs qui avaient d’ores et déjà exploité ses talents avant le gouvernement puis l’avaient vendu pour une bouchée de pain.

— Qui le demande ? demanda-t-il froidement, connaissant pourtant déjà la réponse.

— Vous êtes en état d’arrestation, veuillez nous suivre sans opposer de résistance.

— Attendez quoi ? s’écria Fury qui voulut s’interposer.

Les ordres étaient les ordres et à l’époque personne n’aurait eu l’idée de désobéir. Il lut dans leur esprit que Joy venait de subir une césarienne, sans anesthésie car il fallait rationner les médicaments pour tous les blessés, de ce qu’il comprenait. Les images fusaient, douloureuses, sanglantes. Ils avaient été présents tout du long à observer en silence. On lui avait retiré l’enfant qui sommeillait dans son ventre et ses cris s’étaient mêlés à ceux du nouveau-né. Puis ils étaient partis avec pour soi-disant le mettre en sécurité mais il était impossible de mentir à Eugène. Joy et lui étant mariés, il n’était pas compliqué de deviner qu’il était le père. Et pour cela, au vu de ses capacités, ils comptaient bien faire passer toute une batterie de tests à son fils et, s’il se révélait tout aussi talentueux, de l’exploiter au maximum de ses capacités. Les images du laboratoire fusèrent devant ses yeux, amplifiées par la colère et la confusion des fantômes. L’effet larsen, comme Fanella l’appelait dans le présent.

Eugène vit rouge à l’idée qu’on ait fait tant de mal à son épouse, que son enfant lui soit arraché aussi violemment et qu’il se retrouve en laboratoire comme il l’avait été. Il n’entendait pas ses amis tenter de discuter avec les soldats pour éclaircir la situation. Il poussa un cri de rage comme personne n’en avait jamais entendu sortir de sa bouche et son esprit devint noir au moment où les morts autour d’eux se relevèrent de concert sous les cris de ses compagnons d’armes comme des hauts émissaires américains. Fear et Fury s’étaient jetés sur lui pour tenter de le ramener à la raison, le supplier d’arrêter ce cauchemar. Il ne se rappelait plus de la suite. Lorsqu’il s’était réveillé, il était derrière des barreaux dans une prison inconnue, sédaté, camisolé et tenu en joue par des armes automatiques contrôlées à distance pour qu’il ne puisse pas les retourner contre leurs possesseurs. Les paroles du général des armées venu le réveiller avec un seau d’eau glacée et le rouer de coup résonnait encore dans sa tête comme une malédiction. Derrière lui se tenait le directeur de la CIA, silencieux.

— Tu repars en Russie aujourd’hui Sorrow, avait-il déclaré froidement. [/b]Dans un putain de laboratoire duquel un sale monstre comme toi n’aurait jamais du sortir.[/b]

Dans son esprit, la colère et le dégoût rampaient vers des images qui le montraient en train de tuer des soldats venus enrayer sa progression vers la tente médicale à de nombreux kilomètres de là avec son armée de morts vivants, tandis que Fear et Fury tentaient de le raisonner. Fear s’était vu donner l’ordre de le mettre hors d’état de nuire et avait du retourner contre son ami l’un de ses fameux poisons anesthésiants. Il n’était tombé qu’après plusieurs tirs et une dose de cheval. Il n’avait jamais atteint la tente médicale à dix kilomètres de là.

— Nooooon ! avait hurlé Eugène à s’en expulser les poumons tandis que les larmes commençaient à couler. Je refuse d’y retourner, vous n'avez pas le droit ! Vous m'aviez promis que je n'y retournerais pas !

Les barreaux de la cellule se mirent à trembler et les armes vrombirent, prête à être armées. Ce n’était pas important. Il préférait mourir que de retourner en Russie. Il se voyait à nouveau allongé, complètement nu sur une table de métal froid, bardé de capteurs, affamé, privé de sommeil, poussé dans ses derniers retranchements, jusqu’à l’extrême de ses limites. Il revoyait les opérations lors desquelles on avait implanté des puces dans son cerveau, les humiliations. Il ne voulait plus revivre ça. Ils allaient lui faire pire que la première fois. Le rouer de coup, le dresser pour qu’il obéisse. Lui ôter une nouvelle fois toute envie de vivre. Il voulait juste profiter de la fin de la guerre avec Joy et leur fils, un avenir dont la porte avait brutalement claqué devant son nez.

- Tu ferais mieux de coopérer sinon tu vas vite revoir tes amis, ta femme et ton fils. Morts avec une balle dans la tête. Ais-je bien été clair !

Il le frappa jusqu'à ce qu'il réponde par l'affirmative à travers ses sanglots, obligé de se laisser faire. Il savait que l’armée, la CIA, le Président même en avaient les moyens et qu’aucun d’entre eux n’hésiterait. N’avait-il donc pas le choix de coopérer s’il voulait préserver ceux qu’il aimait ? Eugène éclata en sanglots et se laissa retomber par terre tandis que les talons du général s’éloignaient et que la satisfaction d’avoir maîtrisé, brisé un tel monstre à la puissance sans limite s’estompait avec lui. Il allait passer les dix prochaines années dans un nouveau laboratoire où, comme il le pensait, les sévices et les humiliations avaient été bien pires que lors de son enfance. La seule chose qui le faisait tenir au final, lui donnait de la force, c'était cette petite alliance dorée à son doigt que personne n'avait réussi à lui enlever. Tandis qu’au dehors les tensions de la Guerre Froide atteignaient leur paroxysme, il avait finalement reçu un coup de fil et de nouveaux ordres de mission. Les russes à qui on avait confié Eugène après la guerre étaient satisfaits, son conditionnement semblait suffisant. Il s’était vu offrir une mutation dans les bureaux de Tselinoyarsk pour traquer les possibles espions américains qui auraient eu pour but d’enrayer la progression de la conquête spatiale.

Son esprit était alors devenu vide de sens. Auparavant allié des américains, voilà qu’il se retrouvait à les questionner inlassablement, les torturer en projetant leur âme hors de leur corps, en faire de dociles pantins pour la Russie. Il n’avait guère le choix. A chaque fois qu’il refusait, on le menaçait en faisant miroiter la vie de son fils et de sa femme devant ses yeux. Il ne savait même pas s’ils étaient encore en vie mais le souvenir de Joy et de ses amis étaient la seule chose qui le faisait encore tenir. Et il se disait qu’il aurait croisé leurs fantômes, s’ils avaient dû mourir avant lui. Il avait noyé sa détresse dans l'alcool, dans la froideur de sa chambre, seul endroit où il n'était pas vraiment surveillé. Cela n'avait rien changé.

Dans cet enfer quotidien, une étincelle revint dans sa vie en la présence de Fury, lui aussi muté comme cobaye qu’on allait envoyer dans des fusées. Ils se soutinrent mutuellement en continu. A cette époque, son ami était toujours en communication avec Joy par de brefs courrier mais ceux-ci étaient bien évidemment lus et modifiés si nécessaire avant envoi. A la demande d’Eugène, il y avait glissé un petit code passé entre les mailles du filet et que Joy n’avait eu aucun mal à interpréter.


‘’Salut Joy, depuis que j’ai été muté pour mes nouvelles missions, j’éprouve un grand dépaysement. L’air de cette partie de la Russie me fait du bien même si, pour mon plus grand déplaisir, il ne fait que pleuvoir. Porte toi bien Boss.’’


En effet, lors de leurs années passées ensemble, Eugène était réputé pour faire tomber la pluie assez fréquemment sous le coup de la colère ou de la tristesse. Une manière subtile de lui indiquer qu’il était toujours en vie. Et elle avait répondu.


‘’La pluie m’a toujours détendue. Elle lave le corps et l’esprit de ses plus sombres poussières. Elle me manque, là où je suis. Fais attention à toi, camarade.’’


Après ces dernières images, la sensation qui venait d’accompagner Fanella pendant presque deux heures commença à s’estomper. Le reste des souvenirs d’Eugène n’allaient pas en s’arrangeant et elle comme lui avaient sans doute besoin de se ménager. Il se retira doucement de ses pensées et la laissa reprendre ses esprits. Eugène ne savait pas exactement à quel moment il avait commencé à pleurer, mais son fantôme qui flottait à côté du lit semblait plus triste que jamais, brassé par les émotions de ses souvenirs. Ce n’était pas grave, cela lui avait fait beaucoup de bien et il espérait que son amie serait capable de digérer toutes ces informations.

— Je pense qu’on… va arrêter là pour l’instant, si ça ne vous dérange pas, souffla-t-il avec un air désolé.

La fatigue se faisait ressentir, plus mentale que physique. Il n’allait pas disparaitre à nouveau parce qu’il était épuisé. Et surtout, il fallait encore appréhender ce que la chercheuse retirait de cette expérience, ce qu’elle ressentait. En parler, de vive voix cette fois. Il ne lui avait rien caché, pas même les moments où il avait réellement été un monstre, ce dont il était capable. Elle avait le droit de savoir, après tout.

— Est-ce que ça va ? demanda-t-il encore. Je sais que... ça fait beaucoup de choses, tout d'un coup.
Eugène (The Sorrow)
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Lun 6 Déc - 23:44
Fanella n’eut pas vraiment le temps de se remettre de ce qu’elle venait de vivre qu’elle se retrouvait entraînée dans le vie de ces militaires tous plus étranges les uns que les autres. Celui qui avait créé cette unité devait être une sorte de génie du mal. Rassembler ainsi tous ceux qui étaient différents et les convaincre qu’ils n’étaient bons qu’à faire la guerre relevait de la pure vilénie aux yeux de la jeune chercheuse.  ILs vivaient tous là en collocation comme des adolescents qu’il fallait surveiller, alors que chacun d’entre eux aurait pu offrir tellement à ce monde. 

Eugène parlait à Fanella d’une voix étrange et désincarnée et déstabilisée elle regardait vivre tout ce petit monde avec le sentiment désagréable de pénétrer l’intimité d’une autre personne. Elle se modéra en se disant que c’était comme cela qu’Eugène devait appréhender les relations avec les autres, c’est à dire en ayant un accès direct à leurs souvenirs, à leurs pensées, voire à leurs émotions.

Elle le regarda grandir parmi eux, loin du monde avec un certaine colère. De quel droit gardait-on des êtres humains ainsi sous cloche, tous différents soient-ils ? Ils auraient pu faire tellement mieux que la guerre et porter les noms d’émotions douloureuses comme des cheveux de courses sur lesquels on parie. 

Une des choses les plus spectaculaires de cette période, en plus des changements de son corps, ce fut la découverte de la vision corrigée offerte par une paire de lunettes. Même dans un laboratoire, c’était tout de même simple d’offrir cela à une personne pour qu’elle puisse être autrement que dans un méandre flou perpétuel.

Heureusement au milieu de tout cela se profilait Joy la seule à porter un nom d’émotion positive, la seule aussi sans capacité. Dire que cette jeune femme avait sauvé la vie d’Eugène ne semblait pas un euphémisme. Le reste de leur petite troupe y avait aussi largement participé. Fanella regarda grandir l’affection entre eux, toujours avec ce sentiment détestable d’être la pire des voyeuse. Mais il lui montrait tout cela. Il voulait qu’elle le connaissait comme il la connaissait. Il faudrait se faire à l’absence de certaines conventions sociales. 

Au départ, ils faisaient seulement semblant d’être amants jusqu’au jour où Joy, prenant les devant sans aucune timidité avait fait comprendre clairement ses intensions. 

Et juste après leur mariage, les scènes de guerre. Le jour où il avait tué pour la première fois. Fanaella s’étonna de la question qui lui était venue à ce moment précis. Pourquoi donner une arme à Eugène ?  Il pouvait faire de n’importe quoi un projectile sans doute.  Le commentaire de Fear leva en vent de colère en elle. Ce n’était pas cela être un homme, c’était cela le monstrueux dans l’homme plutôt. Mais compte tenu du contexte, il y avait de quoi créer la confusion dans tous les esprits. Eugène en tout cas ne semblait particulièrement fier de ce qu’il venait de faire. En ces temps-là, sans doute que la morale comptait moins qu’aujourd’hui. 

Dans le souvenir suivant, Joy revenait dans l’équipe. Elle avait détesté les efforts de leurs supérieurs pour séparer deux personnes qui s’aiment et elle imaginait qu’Eugène serait heureux de la retrouver. Elle ne comprit qu’après le drame qui se jouait. 

A travers ses yeux, elle percevait la vie, balbutiante dans le ventre de Joy. Cet enfant qui qu’il soit était né sous une mauvaise étoile de toute évidence.  La jeune femme n’était pas du tout prête à accepter cette réalité. 

Avec la vie en elle, elle était allée faire la guerre. 

Stalingard ça n’était rien à côté du débarquement. Fanella n’était pas habituée aux films de guerre ou violents. Mais l’aspect réaliste de ce qui se passait sous ses yeux lui échappait en parti. La même incrédulité la traversait à chaque instant. Comment les êtres humains pouvaient-ils se faire tant de mal entre eux. Quel espèce de sens cela avait ? La plage était un marécage sans fin de sang. Pourquoi faire ? Tous les concepts, toutes les idées perdaient de leur pertinence à ce moment précis ou des soldats s’entre tuaient. 

Heureusement, il y avait un esprit de plus entre elle et le calvaire de Joy d’une césarienne sans anesthésie. Et cette petite vie, déjà instrumentalisée, extirpée sans ménagement aucun au milieu des hurlements de souffrance de sa mère. Elle se refusait à croire que tout cela était bien réel. Même dans la fiction personne n’aurait osé. Les soldats Russe prétendirent emmener le fils d’Eugène en sureté mais évidemment il n’en était rien. Il devait servir de moyen de pression, comme il le lui avait expliqué. Elle avait beau connaître l’histoire, l’idée était insupportable de ce petit être, servant d’arme pour faire mal à ceux qui l’aimaient. 

Eugène s'était rebellé avec toute sa force contre l'idée d'aller en laboratoire de nouveau. Elle avait entendu dans sa voix les accents d'un vrai désespoir comme rarement les êtres humains en éprouvent. La douleur morale et son intensité lui donnait déjà la nausée mais ça n'était rien à côté de ce qui allait suivre. Il ne pouvait pas même résister, parce que d'autres pesaient dans la balance. Peu à peu, son regard s'éteignait et l'humanité semblait le quitter peu à peu. Il avait gardé son alliance mais c'était à peu près tout ce qui restait du semblant de vie qu'il avait eue. Fanella songea au peu de personnages de film d'horreur qu'elle connaissait et réalisa qu'ils avaient tous en commun avec le Eugène qu'elle avait sous les yeux leurs corps marqués par la souffrance, voire déformés, leurs regards vides. Ce qui faisait peur, c'était ce qui avait été humain et ne l'était plus. 

Tous avaient en commun leur dangerosité, leur volonté de nuire quelqu'en soit la raison. Peut-être qu'Eugène avait détesté faire toutes ces choses horribles pour le compte du gouvernement Russe. C'était sans doute vrai mais tout ce qu'elle voyait était son étrange indifférence, comme s'il n'était plus qu'un corps sans volonté, sans sentiments, sans joie, ni remords. C'était pour elle la définition même du monstrueux. Les visages de ses victimes en revanches s'animaient démesurément comme des traces de couleurs fluo sur une toile résolument noire. Leurs cris, pure douleur pure terreur résonnaient en elle si fort qu'elle allait se briser. Elle ferma les yeux par réflexe mais tout cela se dessinait de toute façon dans son esprit et elle ne pouvait pas s'y soustraire le moins du monde. 

Elle n'était pas sure qu'elle aurait voulu savoir tout cela sur Eugène s'il lui avait laissé le choix. Elle connaissait l'histoire mais le voir faire toutes ces choses, voir son corps son visage c'était très différent. Elle avait sous-estimé sa part monstrueuse, animale, dangereuse, terrible. Aussi l’immensité de son pouvoir qui pouvait arracher les âmes à leurs enveloppes charnels. Elle ne se souvenait pas avoir déjà vu une chose qui lui paraisse à ce point contre nature.

Les petits messages échangés avec Joy, à mots couverts n'effacèrent qu'à moitié ce sentiment parce qu'il se ranimait à peine. Elle était si loin, n’existant presque plus déjà.

Sa voix, dans le présent la tira brusquement de ce cauchemar éveillé. 

— Je pense qu’on… va arrêter là pour l’instant, si ça ne vous dérange pas, 
souffla Eugène mal à l'aise. 

La chambre se matérialisa brusquement devant elle et son oreille interne acheva de sonner l'alerte. Elle s'ébroua et se leva d'un seul coup pour se ruer droit vers la salle de bain et vomir le peu qu'elle avait mangé ce matin-là dans les toilettes.

— Est-ce que ça va ? demanda encore Eugène. Je sais que... ça fait beaucoup de choses, tout d'un coup.

Non cela n'allait pas et il le savait très bien. Elle évita son regard, parce qu'elle savait que son visage translucide et évanescent du présent allait se superposer à celui du tortionnaire du passé. Elle le croisa malgré tout dans le miroir, juste avant de se pencher pour se laver le visage. Ses mains tremblaient et son corps transpirait comme lors d'une forte fièvre. Lorsqu'elle parvint à lui faire face, son visage était baigné de larmes. Trop d'émotions contradictoires se bousculaient en elle, la colère, le dégoût la peur, surtout la peur. Son esprit restait bloqué sur les images d'horreur qu'elle venait de voir. 

Puis le visage de Joy se rappela à elle. Elle se souvint du contexte et de l'histoire. 

- Tu te souviens... dit-elle d'une voix balbutiante, quand j'ai parlé de la différence entre ce que je penses et ce que je choisi de dire ? 

Elle cligna des yeux, pour chasser les relents de souvenirs. Vraiment elle n'était pas prête pour tant d'horreurs à la fois. 

- Tu sais ce que tout ça m'inspire mais ce que... ce que je choisi de dire c'est... 

Elle prit une grande inspiration parce que maintenant il fallait trouver les bons mots, ceux qui ne seraient pas des mensonges, mais ceux qui permettraient d'apaiser le feu des émotions qui risquaient de les emporter tous les deux. Quoiqu'elle ait vu, elle ne voulait pas lui faire de mal, et sa peur, maintenant devait sans doute lui causer une grande souffrance, renforcer son sentiment qu'il n'était pas digne d'exister. De cela, elle ne voulait pas. Il n'avait pas mérité cette vie, ni Joy, ni son fils. 

-Si tu renais si tu retrouves ton corps...je veux que tu puisses avoir une vie. Une vie que tu choisiras. Une vraie vie libre, comme la mienne. Le passé à fait ressortir le pire, mais si tu vis de nouveau, je veux le meilleur pour toi.

Elle renifla, parce qu'elle sentait qu'elle reprenait un peu contenance malgré tout et que son visage, redevenait le sien, celui qu'elle connaissait depuis quelque temps et avait appris à reconnaître comme celui d’un ami.  

-Et aussi...il va falloir qu'on te trouve un bon thérapeute... 

Fanella réalisa qu'elle l'avait tutoyé. Cela n'avait pas d'importance. Après tout, elle le connaissait un peu mieux à présent. Elle tituba jusqu'à son lit pour s'y rouler en boule, le temps que la nausée finisse de lui passer, que son corps cesse de tambouriner dans sa gorge. En serrant ses bras autour d'elle, elle se sentit un peu mieux. Elle essaya de lui sourire un peu mais de temps à autre. Par flash, son visage doux était remplacé par celui aux yeux vides du passé. Il était difficile de croire qu'il s'agissait bien d'une seule et même personne.
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Eugène (The Sorrow)Lost Ghost
# Re: Un grand voyage s'annonce...Mar 7 Déc - 19:30
Eugène avait voulu tout lui montrer, sans filtres, sans rien omettre. Ce désir si fort d’honnêteté l’avait peut-être poussé à aller trop loin pour une première plongée dans ses souvenirs. Il se rendait compte qu’ils ne demandaient qu’à sortir, hurlants et tempétueux. Il les avait laissé glisser, oubliant que sa catharsis impliquait quelqu’un d’autre qui n’y était pas autant préparé. De manière inconsciemment égoïste il avait voulu qu’elle soit le témoin de ce qui lui était arrivé et qui était mort et oublié avec lui. Que ce qu’il avait vécu existe de nouveau car c'était bel et bien arrivé, s’ancre dans le réel plutôt que de ne rester qu'un amas de souffrance qui se délitait et perdait son sens au fil des années. Lorsque Fanella s’enfuit à la salle de bain, l’esprit ne put s’empêcher de s’en vouloir horriblement. La nausée le prit tout comme elle et il retint une grimace. S’il avait été vivant, nul doute qu’ils se seraient bagarrés pour la place salvatrice au-dessus des toilettes. Il ne pouvait pas faire grand-chose si ce n’était vivre ce moment à ces côtés, se tordant les mains tandis que les pensées de la jeune femme se remettaient à tournoyer.

Elle pensait des choses difficiles, la peur revenait au galop mais Eugène s’accrochait à la pensée rationnelle qu’il avait été honnête et que cela aurait été lâche de ne pas lui montrer ses travers les plus sombres. Il ne voulait plus revivre la scène de la passerelle mais il lui était bien impossible de se dégager de ce qu'elle s'imaginait de lui à présent. Et en même temps, comment aurait-elle pu penser autre chose de toute façon. Cela le paniquait moins que la première fois car il s’y était préparé. Il savait par avance ce qu'il allait lui montrer. Si elle avait dû rester froide ou indifférente, il aurait réellement été pris de court. Cela ne l’empêcha pas de sentir une certaine angoisse monter en lui et les larmes lui revenir. Il lutta contre la pensée tournoyante qu’il avait agi comme le tortionnaire qu’il était à l’époque et l’intolérable fait que ces souvenirs lui appartenaient bel et bien. C’était peut-être horrible mais tout son vécu l’était au final. Toute sa vie. Le vide anéantissant qu’il avait ressenti à l’époque, oblitérant son envie de vivre menaçait de retomber sur lui. A ceci près que sa vie était déjà terminée, à présent. Peut-être plus pour longtemps mais dans ce cas, méritait-il de revenir dans ce monde ? Y serait-il vraiment adapté ? Tout avait tellement changé. Comme à son habitude, ses mains avaient recommencé à se tordre violemment tandis qu’il attendait à ses côtés que passe la tempête.

Et puis le visage de Joy se présenta dans l’esprit de Fanella, puis dans le sien et il eut comme un sursaut. Comme un seau d’eau glacée qui se serait déversé sur des braises rougeoyantes et il put mettre à l’arrêt son esprit qui s’échauffait. La pierre lourde et immonde de son angoisse redescendit brutalement comme pour le clouer au sol et à la réalité. A ce que son amie qui venait de briser le silence voulait lui dire.

- Tu te souviens... quand j'ai parlé de la différence entre ce que je pense et ce que je choisis de dire ? Tu sais ce que tout ça m'inspire mais ce que... ce que je choisi de dire c'est...

Eugène hocha la tête. Comment aurait-il pu l’oublier. C’était une notion à laquelle il n’avait jamais vraiment eu le temps de réfléchir par le passé mais qui prenait tout son sens aujourd’hui, avec elle. Peut-être qu’il avait perdu sa maîtrise de la situation en laissant filer ses souvenirs mais l’état dans lequel se trouvait son amie, qu’il avait induit, n’allait pas perdurer dans le temps. Elle avait besoin de digérer tout ça par des émotions violentes mais justifiées. L’effet larsen aurait pu être bien pire, en réalité.

-Si tu renais si tu retrouves ton corps...je veux que tu puisses avoir une vie. Une vie que tu choisiras. Une vraie vie libre, comme la mienne. Le passé à fait ressortir le pire, mais si tu vis de nouveau, je veux le meilleur pour toi.

Eugène éclata en sanglots et plongea son visage dans ses mains lorsque les paroles de Fanella s’ancrèrent en lui. Elle ne le détestait pas, elle voulait toujours l’aider. Mieux que ça, elle voulait son bonheur, qu’il puisse enfin vivre. Il ne demandait pas mieux.

- Merci… bredouilla-t-il d’une voix étouffée tant par l’émotion que par tout ce qu’il aurait voulu lui dire d’autre. J’aimerais beaucoup… pouvoir enfin vivre mais… j’ai l’impression aussi que je ne serais pas capable de m’y faire, que ce serait… trop beau pour être vrai. Ou de ne pas le mériter...

Il voulait vraiment essayer. Au-delà de la réflexion de l’illégitimité de sa présence dans ce monde, il voulait se laisser une chance. Prouver qu’il était autre chose que ce qu’on avait fait de lui en laboratoire, mais plutôt tout ce que Joy avait vu en lui. Il étouffa le reste de ses derniers sanglots lorsque Fanella reprit la parole et il manqua un instant de ne pas l’entendre.

- Et aussi...il va falloir qu'on te trouve un bon thérapeute...

Il ne s’attendait pas à une remarque de ce genre et un drôle de couinement surpris lui échappa tandis qu’il rassemblait une nouvelle fois ses pensées chaotiques. Si le contexte n’avait pas été aussi particulier, il se serait réjoui qu’elle se mette à le tutoyer. Non pas que cela le laisse indifférent, bien au contraire et l’étrange chaleur qu’il ressentait ne faisait qu’augmenter mais ses pensées dérivaient vers d’autres réflexions. Un thérapeute ? S’il ne lisait pas dans l’esprit de son amie il aurait d’abord pensé à un médecin mais elle semblait plutôt faire référence à une partie de la médecine qui avait très peu cours à son époque. Celle de la psychologie et des maux de l’esprit. Il avait croisé suffisamment de ‘’thérapeutes’’ en laboratoire pour que l’idée et quelques images lui reviennent mais il balaya son inquiétude au profit de la réflexion. Tout cela devait aussi avoir bien changé.

- Je crois que dans mon état j’ai du mal à discerner si j’ai besoin d’aide ou pas, déclara-t-il un peu contrit après un bref instant de silence. J’ai l’impression que la situation est sous contrôle mais en même temps tout cela me pèse tellement... Alors si tu juges que c’est nécessaire, je préfère me fier à ta décision.

Il n’avait après tout pas grand-chose à perdre ou à risquer malgré l’inconnu de la situation qui soulevait dans son esprit des idées et scénarios sans doute bien loin de la réalité. Et après tout, il faudrait d’abord qu’il parvienne à réintégrer son corps, ce qui semblait rester une entreprise compliquée et périlleuse. Il suivit sagement Fanella qui était retournée s’installer dans son lit et flotta assis à côté d’elle, l’air las et épuisé. Pas étonnant qu’elle voie encore en lui le fantôme de ses souvenirs. Il ne lui en tenait pas rigueur car il savait que son propre esprit avait juste besoin de temps pour se remettre et les paroles dont elle l’avait enveloppé continuaient de résonner en lui et de le rassurer.

- Merci... de m'avoir écouté et de m'avoir laissé partager tout ça avec toi. Et pour tout ce que tu fais pour moi également. Je suis tellement heureux de t'avoir rencontrée.

Ce qui était certain à ses yeux, c'est qu'une fois son corps réintégré, la première chose qu'il ferait serait la serrer dans ses bras. Avec un corps réel et un vrai cœur qui battait. Il pouvait bien entendu la toucher au travers des couvertures mais la pauvre semblait tellement brassée que cela lui fendait le cœur de lui infliger un énième inconfort. La barrière du monde qui les séparait devenait douloureusement criante de réalité mais il tentait de se dire que cela ne durerait plus très longtemps, qu'elle savait ce qu'elle faisait et que leur entreprise allait aboutir.
Eugène (The Sorrow)
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Fanella Ozark
# Re: Un grand voyage s'annonce...Mar 7 Déc - 22:44
Oui bien sûr la peur revenait au galop, mais Fanella avait voulu dire à Eugène que malgré tout elle souhaitait une vie pour lui. Une vraie vie libre. Oui il avait été capable des pires horreurs mais est-ce que tous les êtres humains ne l’étaient pas, placés dans certains contextes ? D’autres à sa place auraient été plus violents encore, plus monstrueux. Elle avait retrouvé sa raison juste à temps.

La peur avait menacé de les emporter tous les deux, mais à présent, la jeune femme avait l’impression de retrouver les sensations réconfortantes de la première fois où elle avait compris qu’il pouvait lire dans son esprit et qu’elle s’était sentie comprise, acceptée. Elle espérait qu’elle avait pu lui permettre de faire une expérience similaire.


- Merci… balbutia-t-il à travers ses larmes. J’aimerais beaucoup… pouvoir enfin vivre mais… j’ai l’impression aussi que je ne serais pas capable de m’y faire, que ce serait… trop beau pour être vrai. Ou de ne pas le mériter...

Evidemment à présent elle avait le sentiment de comprendre exactement pourquoi il se sentait comme ça. Rien ne l’avait préparé à ce que ce soit un jour possible. Fanella savait que lorsqu’on subissait des sévices on s’en sentait forcément responsable, et ce dont il avait été capable ( elle frémissait rien que d’y repenser) n’aidait en rien. Cependant entre temps il était mort. Elle estimait qu’il y avait prescription en quelques sorte. Restait à faire en sorte qu’il se remette de tout cela, alors elle avait songé que dans tous les cas il faudrait sans doute à Eugène de nombreuses années de psychothérapie.

S’il pouvait être aussi dangereux que ce qu’elle avait vu dans le passé, il fallait s’assurer qu’il reste en pleine possession de ses moyens.

Eugène sembla y réfléchir un moment avant de lui répondre.

- Je crois que dans mon état j’ai du mal à discerner si j’ai besoin d’aide ou pas, conclut-il. ]b]J’ai l’impression que la situation est sous contrôle mais en même temps tout cela me pèse tellement... Alors si tu juges que c’est nécessaire, je préfère me fier à ta décision.[/b]

En l’écoutant, Fanella était retournée s’allonger et il se tint près d’elle, l’air visiblement épuisé lui aussi. L’idée étrange la traversa qu’elle aurait voulu qu’il puisse s’allonger près d’elle et passer un bras sur son ventre. Elle avait juste besoin d’être consolée. Il était rare qu’elle ressente cette envie là, d’être touchée et rassurée.

Pour elle, il était évident qu’il allait avoir besoin d’aide. C’était pure logique de penser qu’en effet s’adapter à la vie civile allait être très difficile, sans compte qu’il revenait d’entre les morts et sans compter non plus qu’il avait perdu tous ceux qu’il aimait.

- Merci... de m'avoir écouté,
reprit Eugène au dessus d’elle. et de m'avoir laissé partager tout ça avec toi. Et pour tout ce que tu fais pour moi également. Je suis tellement heureux de t'avoir rencontrée.

Fanella serra ses bras autour de son corps, comme les larmes lui montaient à nouveau, avec des émotions très différentes, comme un espèce de soulagement qu’elle ne s’expliquait pas.

- Je suis heureuse aussi,
répondit-elle simplement et c’était ce qu’elle ressentait étrangement, tout à coup.

Une espèce de joie, à l’idée qu’il était possible de surmonter toutes ces horreurs auxquelles elle venait d’assister.

- Je crois.. je crois que j’ai besoin de dormir,
ajouta-t-elle, je me sens complètement épuisée.

Fanella ferma les yeux et replia sur elle la couette épaisse et grise de son lit.

- Tu peux rester avec moi, si tu veux, elle souffle.

Juste après, le sommeil l’attrapa comme rarement il l’avait fait. Elle sombra sans rien pouvoir y changer dans un noir total. Rapidement des cauchemars la perturbèrent, ceux de son enfance et ceux d’Eugène mélangés. Pour autant elle n’avait pas dormi autant depuis longtemps.
Fanella Ozark
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